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Vélo et VAE au quotidien en milieu périurbain et rural : réalité ou fiction ?

Pour la première fois et à l’initiative de l’Association Porte de l’Isère Environnement (APIE) et de l’Agence de Mobilité Nord-Isère (AMNI), une pré-journée délocalisée, la veille de la traditionnelle journée d’études de la FUB, s’est tenue à L’Isle-D’Abeau. Elle a ouvert une réflexion sur la place du vélo et du vélo à assistance électrique en milieu périurbain et rural.

Une cinquan­taine de par­tic­i­pants s’était don­né ren­dez-vous en gare SNCF de Bour­goin-Jal­lieu pour se ren­dre à vélo dans les locaux de la Com­mu­nauté d’Agglomération Porte de l’Isère où se tenait la con­férence-débat, l’occasion de tester sur 6,5 km les amé­nage­ments cyclables et d’appréhender les dif­fi­cultés dans ce ter­ri­toire péri­ur­bain.

1 % de déplacements à vélo dans le Nord-Isère

A l’entrée de la voie verte de la Bour­bre ©D. Emprin, Agence de Mobil­ité Nord-Isère

Jean-Paul Lhuil­li­er, délégué aux trans­ports et déplace­ments de l’APIE, a ouvert cette ren­con­tre réu­nis­sant au total plus de cent par­tic­i­pants sur la réflex­ion suiv­ante : faire du vélo dans ce ter­ri­toire du Nord-Isère peu dense et col­li­naire n’est pas la même chose que dans les grandes villes telles que Lyon, Greno­ble ou Cham­béry. En effet, sur ce ter­ri­toire de 1410 km2 et 292 200 habi­tants en 2015(1), les ménages pos­sè­dent en moyenne 1,62 voiture (56 % avec deux voitures ou plus), 68,8 % des déplace­ments se font en voiture et seuls 1 % des déplace­ments se font à vélo (par 8 % des habi­tants).

La Com­mu­nauté d’Agglomération Porte de l’Isère a mis en place un sché­ma directeur vélo en 2011, en col­lab­o­ra­tion avec les asso­ci­a­tions cyclistes, dont l’APIE. Ce sché­ma com­porte :

  • la réal­i­sa­tion de 70 km de voies cyclables, dont 25 km de voies struc­turantes ;
  • la mise en place d’une sub­ven­tion pour l’achat de VAE (à ce jour, 274 sub­ven­tions ont été accordées et 10 entre­pris­es se sont égale­ment lancées) ;
  • la mise en place d’un ser­vice de loca­tion de vélo par Kéo­lis ain­si que l’installation de plusieurs cen­taines d’arceaux.

Les freins sont nombreux

Mathilde Dioudon­nat est rev­enue ensuite sur la créa­tion en 2012, à l’initiative des col­lec­tiv­ités locales, de l’Agence de Mobil­ité Nord-Isère, dont elle est direc­trice. L’Agence a pour objec­tif de pro­mou­voir l’ensemble des alter­na­tives à la voiture indi­vidu­elle sur trois inter­com­mu­nal­ités et 106 com­munes du Nord-Isère, une ini­tia­tive peu courante dans les ter­ri­toires péri­ur­bains. Pour Mathilde Dioudon­nat, « les freins pour le développe­ment de l’usage du vélo sont nom­breux sur notre ter­ri­toire péri­ur­bain et rur­al : dans nos dif­férentes actions de pro­mo­tion du vélo sur le Nord-Isère, nous nous con­fron­tons aux réti­cences liées au manque de sécu­rité (de nom­breuses routes sans amé­nage­ments cyclables), au dénivelé (ter­ri­toire val­lon­né), aux dis­tances, à la peur du vol de vélos ; le vélo n’est pas encore entré dans les men­tal­ités… Pour­tant, le développe­ment du vélo à assis­tance élec­trique per­met de lever une par­tie de ces freins et représente une vraie oppor­tu­nité pour le ter­ri­toire ».

Les cyclistes pas prioritaires dans le grand périurbain

Frédéric Héran, enseignant-chercheur en mobil­ités urbaines à l’Université de Lille, nous a ensuite dressé un état des lieux du vélo dans le grand péri­ur­bain. En effet, le con­stat est clair : les cyclistes n’y sont pas pri­or­i­taires, la pri­or­ité est accordée à la voiture avec peu ou pas de mod­éra­tion de la vitesse des véhicules, un tran­sit pos­si­ble presque partout, des trot­toirs étroits ou inex­is­tants… En aggloméra­tion (au sens Code de la route), hors voirie, tout l’espace pub­lic est con­sacré au sta­tion­nement auto­mo­bile, avec notam­ment des places de sta­tion­nement gra­tu­ites ain­si qu’une grande tolérance à l’égard du sta­tion­nement illicite. Con­séquence : d’importants détours pour les cyclistes, des lieux par­ti­c­ulière­ment dan­gereux, des amé­nage­ments cyclables peu util­isés, d’où plutôt une pra­tique du vélo de loisir, à savoir quand il n’y a pas de traf­ic auto­mo­bile. De fait, les auto­mo­bilistes ignorent et méprisent les cyclistes et ressen­tent un sen­ti­ment de supéri­or­ité et d’arrogance.

Les attitudes évoluent

Mais Frédéric Héran estime que « le tout auto­mo­bile est aujourd’hui dans une impasse », notam­ment à cause de ses effets indi­rects : dégra­da­tion de la san­té humaine, du cadre de vie (notam­ment insécu­rité des enfants pour se ren­dre seuls à l’école), diminu­tion des rela­tions de voisi­nage, désaf­fec­tion pour les modes non motorisés… A l’inverse, le vélo pos­sède de bons argu­ments au niveau san­té, économie et envi­ron­nement.

Com­ment pass­er du « tout auto­mo­bile » à « des rues pour tous » ? Dans les pays les plus anci­en­nement urban­isés, on a remis en cause la voiture il y a longtemps. Pour Frédéric Héran, la société vit actuelle­ment un change­ment de par­a­digme avec la renais­sance du vélo liée à la diminu­tion du traf­ic auto­mo­bile : « Si on prend un recul d’un siè­cle, quand il y a peu de voitures, il y a beau­coup de cyclistes, et inverse­ment ».  A Paris, en 2020, il y aura deux fois moins de traf­ic auto­mo­bile qu’en 1990. Cette ten­dance est vis­i­ble d’abord dans les villes cen­tres, puis en proche périphérie, puis en grande périphérie. Cela arrivera donc égale­ment dans le péri­ur­bain.

Avec la renais­sance du vélo, les atti­tudes évolu­ent égale­ment : au départ, il y a beau­coup de sol­i­dar­ité entre les cyclistes, une hos­til­ité des pié­tons, des con­flits avec les auto­mo­bilistes, puis au fur et à mesure du temps, une nor­mal­i­sa­tion des rela­tions avec un apaise­ment des con­flits avec les pié­tons et une réduc­tion des con­flits avec les auto­mo­bilistes.

Relancer le vélo dans le périurbain

Pas­sage par le Parc Saint-Hubert à L’Isle D’Abeau ©D. Emprin, Agence de Mobil­ité Nord-Isère

Le péri­ur­bain pos­sède mal­gré tout de nom­breux atouts : de nom­breux petits déplace­ments, même en péri­ur­bain (51 % des déplace­ments font moins de 3 km dans le Nord-Isère !) ; de la place pour les amé­nage­ments cyclables ; de la place pour sta­tion­ner les vélos ; tout le monde a un vélo dans son garage !

Pour Frédéric Héran, « il est néces­saire de s’inscrire dans une démarche pro­gres­sive, néces­si­tant une vision à long terme, et dans une approche omn­i­modale, en prenant en compte l’ensemble des modes de déplace­ments, car le report modal est général. Si on ne fait rien, le plus fort gagne, car les modes sont en con­cur­rence. Il faut don­ner la pri­or­ité aux plus faibles et aux plus urbains, soit dans l’ordre, les pié­tons, les cyclistes, les trans­ports publics, puis les auto­mo­bilistes et les deux-roues motorisés. »

Par ailleurs, « il faut enclencher une poli­tique de mod­éra­tion de la cir­cu­la­tion auto­mo­bile », en prenant les mesures suiv­antes :

  • généralis­er les zones apaisées (zones 30, zones de ren­con­tre, aires pié­tonnes) partout où la vie locale domine, soit 80 % du linéaire de voirie ;
  • encadr­er le sta­tion­nement avec la mise en place d’une tar­i­fi­ca­tion pro­gres­sive, car l’espace pub­lic n’est pas gra­tu­it, c’est un bien com­mun ;
  • recon­quérir les espaces publics, pour les ren­dre plus favor­ables aux modes act­ifs, en créant notam­ment des amé­nage­ments cyclables ou en élar­gis­sant les trot­toirs.

Les villes doivent traiter en pri­or­ité les coupures urbaines majeures qui sont autant d’obstacles pour les cyclistes. Par exem­ple, sur l’A43 tra­ver­sant le ter­ri­toire de la CAPI, on dénom­bre 13 fran­chisse­ments dont seule­ment deux cor­rects pour les cyclistes sur 23 km. Pour cela, la Région Ile-de-France s’est don­né par exem­ple pour objec­tif dans son PDU de traiter 100 coupures urbaines.

Frédéric Héran rap­pelle enfin que « les inno­va­tions de ces dernières années peu­vent égale­ment faire rebondir le vélo dans le péri­ur­bain : le vélo couché, le VAE per­me­t­tent par exem­ple d’aller beau­coup plus rapi­de­ment et plus loin ».

L’importance d’un itinéraire cyclable sécurisé

A l’issue de la présen­ta­tion de Frédéric Héran, il a été pro­posé aux par­tic­i­pants de débat­tre sur le sujet. Christophe  Quin­iou, maire de Meyzieu, com­mune de 33 000 habi­tants à 17 km en piste cyclable de Lyon, dénonce la pro­mo­tion insen­sée de la voiture, sym­bole de lib­erté et de réus­site sociale, notam­ment à la télévi­sion. Selon lui, « peu de pro­grammes val­orisent le vélo ». Il témoigne ensuite de l’importance pri­mor­diale d’un tra­jet cyclable sécurisé ain­si que du sta­tion­nement vélo, notam­ment dans les écoles : en effet, il a pu con­stater sur un col­lège de sa com­mune, situé le long d’un réseau cyclable struc­turé et sécurisé, que 370 enfants y venaient à vélo alors que du sta­tion­nement en nom­bre est pos­si­ble. Sur un sec­ond col­lège dans la même ville, seuls 17 col­légiens vien­nent à vélo car il n’y a pas d’itinéraire cyclable sécurisé, et sur un troisième col­lège, il n’y a aucun vélo car aucun sta­tion­nement n’est en place.

Autre exem­ple : Guil­hem Gri­maud tra­vaille au sein d’une entre­prise de la Com­mu­nauté de Com­munes des Bal­cons du Dauphiné et effectue ses déplace­ments en TER (durée 27 min­utes) puis vélo (14 km effec­tués en 45 min) depuis la ville de Lyon. Avec les embouteil­lages, le vélo est un choix très prag­ma­tique, le temps de par­cours est com­péti­tif, le tra­jet étant a min­i­ma de 50 min­utes en voiture quand ça roule bien. Il témoigne du fait que son employeur est désor­mais réti­cent à ce qu’il vienne à vélo au tra­vail suite à un acci­dent récent avec une voiture, sa sécu­rité ne sem­blant pas assurée.

Une génération vélo contre la sédentarité

Olivi­er Schnei­der, prési­dent de la FUB, con­clut finale­ment cette demi-journée riche en échanges par les deux réflex­ions suiv­antes : « la séden­tar­ité tue ! La prochaine généra­tion risque de souf­frir d’affections graves dues à l’immobilité » et « en France, il y a un mil­lion de km de routes, soit 50 m2 de routes à entretenir par per­son­ne, un chiffre énorme ! » Il évoque ensuite le bonus VAE dis­paru au 1er févri­er 2018 qui per­me­t­tait de gom­mer cer­tains incon­vénients du milieu moins dense. La Loi d’orientation des mobil­ités intérieures, qui devrait être présen­tée en mai puis débattue en assem­blée en sep­tem­bre prochain, devra pro­pos­er un plan vélo pour tous et toutes, « pas unique­ment un plan vélo des métrop­o­les, et affirmer ain­si le droit à la mobil­ité active pour tous et toutes ».

« Il faut un change­ment de par­a­digme : faire éclore une généra­tion vélo, notam­ment par la sys­té­ma­ti­sa­tion du « savoir rouler » à l’école qui va per­me­t­tre de sauver toute une généra­tion de la séden­tar­ité ».

Per­rine Burn­er

(1) Source : Enquête déplace­ments 2015 de l’aire mét­ro­pol­i­taine lyon­naise. Résul­tats sur le Nord-Isère.

Un article à lire aussi dans Vélocité145 — mars-avril. 2018, une publication de la FUB.

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