La Tribune
Être autonome à vélo : réflexions d’une ergothérapeute
L’ergothérapie a pour but d’amener les personnes à développer leur indépendance et leur autonomie dans leur environnement quotidien et social. Or s’il existe un mode de déplacement qui favorise l’autonomie, c’est bien le vélo. Mais ce n’est pas si simple d’y parvenir.
Vélo cargo ou draisienne pour enfant ?
Un vélo cargo à usage familial est un bi ou triporteur avec une caisse à l’avant, dans laquelle se trouve un ou deux petits bancs pour transporter plusieurs enfants assis ou un bébé dans un transat ou dans un siège adapté. Ce super vélo offre aussi la possibilité de transporter des courses, des valises, des objets volumineux, ou même un vélo pliant(1). Il existe aussi des vélos allongés, qui remplissent les mêmes fonctions qu’un vélo cargo, en permettant le transport de plusieurs enfants ou de grandes quantités de marchandises sur le porte-bagage arrière.
L’essor actuel des vélos cargos auprès des familles dans les grandes villes françaises est a priori une bonne nouvelle. Cela veut dire que le vélo a regagné une telle place en ville que les familles peuvent lâcher leur voiture ou l’usage des transports en commun et accéder à la mobilité cyclable avec leurs marmots. Les villes devenant plus accueillantes aux cyclistes, les jeunes parents sont en confiance pour choisir cette mobilité pour leurs enfants. Les vélos cargos auraient finalement les mêmes avantages qu’une petite voiture en ville (transport d’enfants, de courses, de colis), mais en plus actif, doux et écologique. Une nouvelle génération, qui n’a connu que le renouveau du vélo pour ses déplacements quotidiens, continue avec ses enfants, via ce vélo adapté à sa petite famille.
Mais on peut voir les choses de façon moins optimiste. Quand des enfants de plus de 4–5 ans se retrouvent assis, passifs, dans ces boîtes, ils retrouvent cette sédentarité et cette inactivité physique que crée l’usage de la voiture. Pourtant, grâce à la draisienne, les enfants, dès trois ans maintenant, savent faire du vélo sans roulettes et sans avoir forcément besoin d’être véhiculés.
Promouvoir l’usage du vélo dès le plus jeune âge
Sur son petit vélo, l’enfant mobile, actif, de manière indépendante, développe facilement de solides compétences cognitives liées à la mobilité, apprend à être alerte, réactif, concentré sur son environnement, malgré tous les distracteurs. Il construit ainsi son autonomie à venir, la mobilité étant un des piliers de l’autonomie de l’adulte !
Bien évidemment, l’enfant en vélo pratique une activité physique sans en avoir l’air, sans rajouter une énième activité extrascolaire à son emploi du temps parfois déjà bien chargé. Cela participe à la lutte contre la sédentarité des enfants, due entre autres au développement de l’usage des écrans.
Avant trois ans, il est normal de transporter un bébé, un jeune enfant sur un siège vélo, dans une remorque ou la caisse d’un cargo. Mais dès lors qu’il sait pédaler sans roulettes, disons vers 4–5 ans de manière fluide et sécure, pour être en accord avec l’autonomie qu’il a conquise, sa mobilité dans ses trajets quotidiens ne devrait-elle pas être sur son propre vélo, un 14 ou 16 pouces ?
Gérer les dangers de la circulation
Il est probable que l’essor des vélos cargos soit en partie une façon d’éviter aux jeunes enfants, pourtant capables de pédaler seuls, les dangers de la circulation : différentiel de vitesses important, manque de visibilité de ces petits êtres humains par les conducteurs de véhicules motorisés, notamment des SUV surélevés, densité des circulations automobiles et piétonnes. Difficile pour les parents d’avoir l’esprit serein pour circuler en famille chacun sur son vélo.
Le code de la route autorise les enfants de moins de huit ans à faire du vélo sur les trottoirs. En pratique, ce n’est pas si simple ! Les trottoirs sont souvent étroits ou encombrés. Les piétons, notamment les personnes âgées, se sentent en insécurité lors du croisement avec un cycliste sur un trottoir. De plus, un enfant de moins de huit ans est le plus souvent accompagné par quelqu’un de plus de huit ans sur ses trajets quotidiens, et cette personne n’a pas le droit de rouler à ses côtés sur le trottoir. Enfin, les trottoirs ne sont pas sans risque, avec les sorties de garage sans visibilité entre autres.
En roulant sur la chaussée à son niveau, l’accompagnant se retrouve à circuler lentement, ce qui est rarement compris des automobilistes qui n’ont pas la vision globale de la situation. Et si une file de stationnement sépare la chaussée du trottoir, la sécurité du jeune cycliste et des piétons ne peut pas être facilement gérée par l’accompagnant.
Ainsi, une famille choisissant de faire les trajets quotidiens des enfants chacun sur son vélo se retrouve le plus souvent dans la circulation, avec une trajectoire un peu zigzaguante, des véhicules qui roulent beaucoup plus vite à leur côté et des problèmes de visibilité des jeunes enfants par les conducteurs de SUV, de bus et de camions.
Enfants et personnes âgées : même dilemme
Même type de constat à l’autre bout de la vie humaine. Pour les personnes âgées, la bicyclette est un formidable outil pour bien vieillir : activité physique douce, permettant l’entretien des capacités physiques et cognitives, offrant une mobilité de proximité, permettant de suppléer la marche devenue souvent douloureuse, facilitant le transport de quelques courses sans les tenir à bout de bras… Pour une ergothérapeute, il paraît évident que la mobilité des plus âgés doive se faire en vélo.
Avoir confiance en soi
Pourtant, actuellement, tant que la circulation urbaine restera dense, complexe et rapide, il est difficile de lancer des personnes fragiles dans un tel environnement. Tout comme les personnes avec des difficultés physiques, sensorielles ou cognitives, les seniors subissent, dans leur mobilité quotidienne à bicyclette, la vitesse excessive des automobilistes qui accélèrent entre chaque carrefour et qui tiennent à doubler les cyclistes à tout prix.
Actuellement pour cycler, même dans une ville qui a développé des aménagements cyclables, il faut être quelqu’un de réactif et vif : savoir se faufiler, démarrer avant le flux des voitures pour ne pas se faire coincer, piler devant un piéton n’ayant pas vu le double sens cyclable. Bref, il faut prendre sa place sur la chaussée, notamment dans les rues étroites, donc avoir une grande confiance en soi (et en l’automobiliste qui est derrière !) pour assumer ce positionnement.
Le problème des cyclistes casse-cou
Vulnérables, les cyclistes le sont par rapport aux automobilistes. Mais certains cyclistes le sont aussi par rapport aux autres cyclistes. Cet homme de 82 ans ou cette femme enceinte roulant en-dessous de 10 km/h, cet adolescent porteur d’une trisomie 21 qui va mal interpréter les priorités à un carrefour, cette femme de 40 ans atteinte d’une sclérose en plaques roulant avec un large tricycle ne trouvent pas leur juste place dans la ville cyclable actuelle.
Car l’augmentation du nombre de cyclistes n’amène pas que du positif. Ils ne sont pas rares les cyclistes qui ne s’arrêtent jamais pour laisser traverser les piétons, mais zigzaguent entre eux, roulent très vite, forts de leur vélo électrique parfois, en mettant en danger les cyclistes tortues. Juchés sur leurs selles de vélo, les cyclistes n’auraient-il pas tout à gagner à miser sur la convivialité, pour créer une ville inclusive où chacun puisse choisir une mobilité active, quelles que soient ses capacités ?
C’est pourquoi, la diversité des cyclistes et la diversité des vélos devraient être davantage prise en compte lors de la création d’infrastructures et de services, pour faciliter cette inclusion et donner une place aux cyclistes hors normes dans la circulation urbaine.
Note :
(1) Ce qui permet de remplir la fonction de « vélo-taxi actif » : par exemple, le vélo-pliant dans le cargo pour aller chercher un ami ou un client à la gare, puis de mettre les valises dans le cargo et le passager sur le vélo pliant jusqu’à son point d’arrivée.
Le développement des compétences cognitives
liées à la mobilitéIl est probable que les enfants transportés en vélo cargo soient davantage actifs au niveau des fonctions cognitives liées à la mobilité que ceux transportés en voiture, car ils ont les yeux et les oreilles connectés au monde urbain qui les entourent.
Idem pour le transport de jeunes enfants sur des sièges vélos avant, qui, par la facilité de discussion possible avec l’adulte et l’apprentissage des signes liés à la mobilité, vont tendre un bras à gauche ou à droite, spontanément, sur des trajets connus, pour indiquer aux autres usagers que le vélo va tourner.
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