Décryptage
« Quand tout s’arrête, il n’y a plus que ça » : stress test et solidarité chez les professionnels à vélo
Avril 2020. Tous les cyclistes sont confinés. Tous ? De petites entreprises à vélo résistent encore et toujours à l’interdiction des déplacements pour assurer des livraisons à la force des mollets.
Une logistique résiliente
Les restaurateurs à l’arrêt, les services non essentiels interdits, l’activité économique qui ralentit : l’annonce du confinement a d’abord été un coup de massue pour nombre d’entrepreneurs à vélo. La plupart se sont ainsi mis au chômage partiel, pour limiter la casse. Très rapidement, les livraisons restantes se sont organisées avec le protocole sanitaire nécessaire pour poursuivre l’activité en toute sécurité.
« Quand tout s’arrête, il n’y a plus que ça », nous explique même Philippe Genty des Boîtes à vélo Paris. Ainsi, en partenariat avec FARàVélo et la ville de Fontenay-aux-Roses, l’association parisienne a développé un système de livraison local réservé aux commerçants de la ville : le vélo cargo s’est imposé comme une solution résiliente, écologique, rapide, facile et donc parfaitement adaptée aux centres-villes. Au point que d’autres villes souhaitent s’en inspirer.
Un réseau solidaire
À Nantes et à Angers, des entrepreneurs qui ne pouvaient pas rouler ont prêté leur vélo pour maintenir des services. À Paris, Grenoble ou Lyon, les travailleurs à vélo exerçant une activité non essentielle ont pu rebondir en proposant des services de livraison, parfois bénévolement, parfois pour un coût réduit, toujours dans le but de maintenir l’activité économique et de tisser des liens de solidarité. Toutenvélo Grenoble s’est ainsi mis au service des commerçants pour assurer des livraisons, les professionnels parisiens ont assuré des livraisons aussi variées que des paniers de légumes, des repas aux sans-abris hébergés par la Ville de Paris, ou encore des masques et des visières pour le personnel soignant. Carton Plein s’est rapidement engagé dans cette voie. Pour son coordinateur, Adrien Calvez, « notre activité était déjà engagée, et cela a été décisif dans la volonté d’aider, de contribuer au bien commun. Il a fallu se réinventer en termes de livraisons ». L’expertise de logisticien et l’efficacité du cycliste au service de la collectivité.
Si les professionnels à vélo ont pu résister, c’est qu’ils ont pu compter sur une solidarité de la chaîne logistique. Toutenvélo Caen a ainsi bénéficié d’un maintien de la rémunération par DHL, malgré une baisse des flux, dans le cadre d’une politique salutaire de soutien aux sous-traitants. Cela a notamment permis à Toutenvélo de maintenir la rémunération de ses sept salariés.
Nul doute que les trésoreries ont été mobilisées pour faire face à l’arrêt de nombreuses activités. Mais la capacité des entrepreneurs à vélo à rebondir a sûrement permis de sauver l’essentiel. Si l’on ajoute une météo ensoleillée et des rues débarrassées de leurs voitures, le confinement a presque été supportable.
Un modèle social confirmé
C’est dans les crises que se révèlent les difficultés de gouvernance, et la crise sanitaire n’y a pas fait exception. Face aux difficultés économiques et aux craintes légitimes, les entreprises ont su prouver l’efficacité d’un modèle salarié protecteur, mais aussi l’importance de la gouvernance partagée. Les livreurs de la coopérative Toutenvélo Caen, ont ainsi choisi à l’unanimité de poursuivre leur activité professionnelle. « Un choix différent a été fait à Rouen », nous explique le gérant Erik Declercq. « Nous en avons profité pour plus échanger et tester la valeur du modèle coopératif, l’adhésion à l’esprit de gouvernance. Personne ne s’est senti obligé de travailler. On ne peut pas qualifier la période d’agréable, mais on a testé la force du collectif de travail ».
On ne peut pas en dire autant des livreurs et réparateurs, laissés sans protection sociale ni sanitaire par leur statut d’auto-entrepreneurs. En dépit de l’importante communication qui a permis aux plateformes comme Stuart ou Cyclofix de se donner une image de héros au service du personnel soignant, la réalité est plus dure. « Avant-hier j’ai livré une bouteille de rosé. On prend des risques pour une boîte de sushis », explique Pablo, livreur lyonnais aux caméras de France 2. « Je n’ai pas le choix, c’est mon seul revenu ». « C’est là qu’éclate en plein jour la précarité de leur situation », regrette Mathieu Cloarec, directeur des Boîtes à vélo France.
Nouveaux réseaux pour un futur développement
Les nouvelles activités liées au confinement ont été l’occasion de renforcer le réseau des entrepreneurs à vélo et de tisser des liens avec de nouveaux réseaux. Carton Plein, spécialisé dans la collecte de cartons et les déménagements à vélo, a dû changer de braquet, à l’initiative de la Ville de Paris, pour assurer la logistique entre les fablabs et le personnel soignant. 6 000 visières ont ainsi été livrées. Le réseau des Boîtes à vélo leur a été précieux pour assurer les livraisons au pic de l’activité.
Plus proche de son cœur de métier, Toutenvélo Caen a profité du confinement pour assurer des livraisons pour les magasins Biocoop : un partenariat de longue date qui se concrétise au cœur de la crise. Pour Erik Declercq, ça a été l’occasion de tester, d’en voir les limites pour évoluer vers un fonctionnement plus pérenne. « Il y avait quelque part un sentiment de proposer un service public », avance-t-il. La livraison des particuliers comme des 22professionnels a généré beaucoup de reconnaissance par les personnes livrées et un sentiment d’utilité pour les livreurs. La période a de plus été l’occasion d’affirmer la performance de la logistique à vélo et de donner de la visibilité à ceux qui la développent depuis plusieurs années.