Décryptage
Une analyse comparée de l’évolution de la place du vélo dans les villes européennes
Le recueil Cycling cities se penche sur un siècle d’évolution de la pratique du vélo dans des villes européennes. Pour ceux qui lisent l’anglais et sont à la recherche de photographies et de données d’époque.
Cycling Cities est un bel ouvrage – dont on espère un jour la traduction en français – qui regroupe 14 monographies de villes européennes, réparties dans neuf pays, de taille intermédiaire (Enschede, Bâle) ou plus importante (Copenhague, Manchester, Lyon, Hanovre) – à l’exception d’une étude à l’échelle du Limbourg, une région valonnée des Pays-Bas. Cet ouvrage coordonné par quatre historiens des techniques explore l’évolution des déplacements par le prisme du vélo dans ces villes en cherchant à comprendre comment certaines sont devenues des hauts lieux de la pratique de la bicyclette tandis que d’autres l’ont abandonnée ou marginalisée. Courant sur un siècle, les récits de ces trajectoires s’avèrent précieux pour les villes qui aujourd’hui sont à la recherche de leviers pour développer la pratique du vélo.
Déclin et renouveau
Au XXe siècle, chacune des villes dont le livre retrace l’évolution connaît d’abord une augmentation considérable de la pratique, à tel point que le vélo représente parfois la quasi totalité des déplacements en modes mécanisés dès les années 1930. S’ensuit systématiquement une phase de déclin, plus ou moins précoce et durable mais presque partout vertigineuse. Dans les villes néerlandaises, cet effondrement est plus tardif et moins brutal, et le renouveau, dès les lendemains du premier choc pétrolier, davantage affirmé. Enfin, succède à ce repli une phase de stabilisation et de reprise qui ne débute pas non plus au même moment ni avec la même vigueur partout.
L’approche omnimodale
Agréable, exhaustif, illustré avec richesse (les photographies montrant les foules d’ouvriers et d’employés à vélo sont saisissantes), l’ouvrage a pour mérite premier de battre en brèche quelques idées reçues. Les auteurs n’oublient jamais de replacer le vélo dans une approche que l’économiste français Frédéric Héran, bien connu dans cette revue, qualifie d’« omnimodale » (prenant en compte l’évolution de la répartition de tous les modes de déplacement, leurs dynamiques et leurs rétroactions positives). Considérées isolément, les distances moyennes de déplacement, les infrastructures cyclables, et même une échelle et une morphologie urbaines a priori avantageuses ne constituent pas des raisons suffisantes pour expliquer le renouveau de la pratique du vélo en Europe ces quarante dernières années.
Quelques facteurs décisifs
D’autres facteurs, endogènes ou exogènes, sont autant sinon plus décisifs : la capacité de concurrence des modes alternatifs (deux-roues motorisés, transports en commun) ; la précocité et l’ampleur des mesures de modération et de restriction de la circulation motorisée ; le statut culturel et l’attention accordés aux cyclistes ; la légitimité, les modes d’organisation et le pouvoir d’influence des mouvements en faveur du vélo. Malgré des points communs tels que l’aménagement de pistes en site propre et l’instauration de zones piétonnes autorisées aux cyclistes, des villes comparables sont ainsi parvenues à des niveaux de pratique très différents. La reconfiguration incessante de ces facteurs est primordiale pour comprendre la situation actuelle des mobilités en milieu urbain, et anticiper son avenir.
Le pouvoir des usagers
Aux Pays-Bas, l’action des associations d’usagers (la très influente Fietsersbond) et de collectifs singuliers (comme Stop de Kindermoord, « Halte au meurtre des enfants », dans les années 1970) a joué un rôle considérable dans l’acceptation du vélo comme mode à part entière. En remettant en cause la prédominance de l’automobile, leurs membres ont réussi à forcer les pouvoirs publics à « pacifier » les rues, c’est-à-dire à redonner de la place aux piétons et aux enfants, à modérer la vitesse des véhicules et à créer des aménagements sécurisés pour les cyclistes. La capacité de ces organisations à inscrire le vélo à l’agenda des problèmes publics, leur détermination à porter une expertise reconnue sur les déplacements et à la diffuser auprès des élus et techniciens, le professionnalisme de leurs actions expliquent en grande partie la place centrale qu’occupe aujourd’hui le vélo dans le système de mobilité aux Pays-Bas.
L’ouvrage apporte ainsi des pistes de réflexions et d’actions pour la FUB et ses associations membres, ce qui n’est pas le moindre de ses mérites.
Notes :
Oldenziel M.E., Emanuel M., De La Bruheze A.A., Veraart F. (dir.), Cycling Cities : The European Experience. Hundred Years of Policy and Practice, Eindhoven/Munich, Foundation for the History of Technology/LMU Rachel Carson Centre for Environment and Society, 2016, 256 pages.