Décryptage
Le vélo, grand absent des politiques de lutte contre la pollution de l’air en Allemagne
La chronique européenne
Potentiellement condamnée par l’Union Européenne, l’Allemagne ne donne pas de place au vélo dans ses politiques de lutte contre la pollution de l’air, alors que c’est un levier particulièrement efficient. Pourquoi ? Qu’est-ce que cela nous apprend ? Après le Plan vélo italien, rendez-vous en Allemagne avec Carole Kaouane, administratrice de la FUB.
Un problème européen : la pollution de l’air…
Mi-janvier dernier, neuf pays ont été enjoint par l’Union européenne à mettre en place des actions permettant de répondre à la directive européenne sur la qualité de l’air de 2008 (directive 2008/50/EC). Si de nouvelles mesures ne sont pas appliquées rapidement ou si elles sont jugées insuffisantes pour permettre une amélioration rapide de la qualité de l’air, ces pays seront appelés à comparaître en Cour de Justice Européenne. Les mauvais élèves en question?La république Tchèque, l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie, la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie et le Royaume Uni.
La solution vélo au secours des Etats
À l’occasion du sommet européen sur la qualité de l’air, l’European Cyclist’ Federation (ECF) a sollicité Karmenu Vella, commissaire à l’Environnement de l’union européenne, pour inciter ces 9 pays à élaborer des politiques cyclables nationales pour une meilleure qualité de l’air. C’est-à-dire :
- Créer un fond d’investissement pour le vélo avec un budget annuel de 10 euros / personne pour des projets financés à 50% avec les collectivités locales et territoriales telles que les réseaux express vélo.
- Une aide à l’achat pour tout type de vélo, aide au moins équivalente à celle pour l’achats de véhicules électriques, associée à un développement de dispositifs similaires à l’IKV
- Cadrer et coordonner le soutien national au vélo
Une étude récente prouve en effet que si 167 villes européennes atteignent une part modale du vélo de 24.7 %, plus de 10 000 morts prématurées dues à la qualité de l’air pourraient être évitées chaque année [2]. Cette étude souligne aussi que les bénéfices de l’activité physiques contrecarrent largement les risques d’accident et de santé due à la pollution (qui diminuent de facto avec l’augmentation de la part modale du vélo).
La FUB a co-signé la lettre de l‘ECF (tout comme les autres membres de l’ECF dans les pays correspondants), aussi envoyée au Ministre Hulot. Elle l’a accompagnée de la traduction française des attentes, déjà transmises à Elizabeth Borne lors des assises de la mobilité. La FUB propose ainsi:
- La mise en place d’un Fonds national vélo de 200 millions d’euros, soit moins du tiers de la proposition de l’ECF mais auquel il faut ajouter un plan de stationnement vélo de 200 millions d’euros sur 3 ans ;
- Le retour à un bonus VAE suffisamment attractif pour voir ce moyen de transport se répandre dans notre pays et le taux d’équipement des ménages se rapprocher de celui de nos voisins européens ;
- La généralisation d’une Indemnité Kilométrique Vélo obligatoire et fiscalement attractive.
Au pays de l’automobile, on se tourne vers les bus et les transports en commun
Las, la solution miracle proposée par l’Allemagne pour éviter les amendes de l’Union Européenne est la gratuité dans les transports en commun (TC) pour réduire l’utilisation de la voiture personnelle. Cinq villes sont déjà en ligne pour tester cette nouvelle mesure, d’ici la fin de l’année dans le cas où elle serait mise en place : Bonn, Essen, Herrenberg, Reutlingen and Mannheim. Les problèmes remontés par cette solution sont doubles : les équipements sont désuets et trop peu nombreux, et la desserte TC actuelle ne peut pas absorber le report modal envisagé par ce type de mesure. Les géants de l’automobile, VW, Mercedes-Benz et BMW sont a priori d’accord pour participer à hauteur de 230 Millions € sur un fond d’investissement de plusieurs milliards [3].
Même associée à un bannissement des moteurs diesels et à un renouvellement complet du parce automobiles pour des véhicules moins polluants, les mesures proposés à l’UE pour éviter l’amende sont pour l’instant peu convaincantes pour une réduction immédiate de la pollution de l’air.
L’Allemagne une nation déjà cycliste ?
Rien de particulier sur le vélo pour contrer la pollution l’air dans les villes en Allemagne donc. Rappelons-le, le vélo n’a pas d’équivalent technologique pour réduire de 40 % le trafic automobile pour les trajets de 1 à 5 km. Alors que l’Italie et la France affichent des parts modales vélo moyenne de 2 % et 4 %, l’Allemagne s’approche plus des 10–15% en moyenne, avec une forte disparité entre Régions . Certaines villes ont des parts modales jusqu’à 40% (Munster, avec une part modale voiture inférieure autour de ~30 %). Par contre, Berlin, par exemple, connaît plutôt une stagnation avec une part modale moyenne de 13 — 15 % (2008 – 2017) pouvant aller jusqu’à 20 % dans certaines parties de la ville.
Pourtant les Allemands semblent prêts au changement cyclable. Dans la 11ème enquête sur la « conscience environnementale » de 2017, 91 % des 4000 répondants disent souhaiter ne plus avoir besoin de leur voiture et 2/3 voudraient une meilleure infrastructure cyclable. Et 2/3 de ces répondants disent aussi utiliser la voiture presque une fois par jours. Une autre enquête [4], « le Moniteur du Vélo » (Fahrrad Monitor) organisée par le ministère des infrastructures tous les deux ans, fournis des chiffres étonnants : 1/3 des répondants utilisent le vélo comme moyen de transport quotidien et 2/3 disent apprécier utiliser le vélo. Il y a une forte déception vis-à-vis de la politique fédérale avec seulement 13% d’approbation. Les efforts des villes et des Länder sont légèrement plus appréciés. Cette étude relève une attente pour des pistes séparées du trafic automobile et piétons, tout comme plus de stationnement. Comme 34% souhaiteraient utiliser le vélo plus souvent pour leurs déplacements à l’avenir, il est peut être temps que le niveau fédéral s’attelle à la tâche.
Le vélo, l’affaire des Ländern et non du Fédéral ?
On peut expliquer ce refus du niveau fédéral à considérer le vélo en réponse à la pollution de l’air par la répartition des compétences entre le fédéral et les états. Les infrastructures cyclables sont uniquement à la charge des villes et des états. Tout comme en France, la création des infrastructures cyclables reste avant tout une affaire de volonté locale.
Depuis 2002, et l’entrée en vigueur du premier plan national vélo, l’enveloppe du Ministère fédéral pour les infrastructures (BMVI) dédiée le vélo est plutôt dérisoire, avec 3.2 millions €/an. Toutefois depuis 2016, le financement d’infrastructures cyclables a été ajouté au plan national des infrastructures 2030. Sur une enveloppe totale de 270 milliards d’€ (pour ~10 ans), l’enveloppe « vélo » n’est pas détaillée, mais le BMVI a maintenant vocation à s’impliquer sur la création de réseaux structurants entre les villes.
Vers plus d’investissement et d’uniformisation
À défaut d’avoir une qualité d’infrastructure égale sur toutes les aires métropolitaines, les allemands ont une association forte, présente sur tout le territoire, l’ADFC (Allgemeinen Deutschen Fahrrad-Club). Porteuse du Fahrrad Climat test (inspiration du baromètre des villes cyclables en France), l’ADFC a lancé une campagne « Fahrradland Deutschland Jetzt » (« l’Allemagne pays cyclable maintenant! »). 8 mesures sont demandées au niveau fédéral, dont 800 millions par ans pour le vélo (10 €/an/hab) et la distribution des financements sur des projets ciblés, l’apaisement des aires urbaines avec le 30 km/h généralisé, des autoroutes à vélo au lieu des autoroutes urbaines, ainsi qu’une standardisation des infrastructures cyclables.
Au pays de la voiture, on pédale plus qu’en France, mais les attentes des cyclistes sont similaires. Pourquoi le vélo n’est pas réellement pris au sérieux pour atteindre une meilleure qualité de vie dans nos centres urbains et lutter contre la pollution ? Peut-être parce que cette solution est trop simple pour ces pays de pointe.
Carole Kaouane
[2] Mueller et al. on behalf of the PASTA Consortium : Health Impact assessment of cycling network expansions in European cities. Preventive medicine, vol. 109, p. 62–70, Avril 2018, doi.org/10.1016/j.ypmed.2017.12.011
[6] http://www.dlr.de/dlr/mobil/en/desktopdefault.aspx/tabid-10527/912_read-23881/
Fahrradland Deutschland Jetzt: https://radlandjetzt.de/?doing_wp_cron=1517928374.1060390472412109375000
Bonjour
Remplacer son mode de déplacement va prendre un moment, mais avec une infrastructure cohérente et une évolution des mentalités cela peut aboutir.
Cordialement