La Tribune

Le cycliste incivil et les militants du vélo

Un cycliste belge incivique renverse une petite fille et enflamme internet. Des défenseurs du vélo s’énervent contre l’indignation gigantesque que suscite le fait divers. Est-ce une bonne idée ? Probablement pas… Contre les « Oui mais les cyclistes », il faut raison garder.

Un cycliste belge incivique ren­verse une petite fille et enflamme inter­net. Des défenseurs du vélo s’énervent con­tre l’indignation gigan­tesque que sus­cite le fait divers. Est-ce une bonne idée ? Prob­a­ble­ment pas… Con­tre les « Oui mais les cyclistes », il faut rai­son garder.

Un fait divers d’hiver

À la fin d’une année 2020 éprou­vante, mais réjouis­sante pour ce qui est de l’usage du vélo, inter­net nous a offert une petite polémique bonus, une petite polémique comme seul inter­net sait les faire. La scène se déroule en Bel­gique, près de Liège. Une vidéo pub­liée le jour de Noël mon­tre une famille en prom­e­nade sur une voie verte enneigée. Sur les images, on voit un coureur cycliste, casqué et vêtu de lycra, qui sem­ble écarter d’un coup de genou la petite fille sta­tion­née sur la voie avec sa mère, tan­dis que le père les filme. La petite fille tombe et le cycliste sem­ble pren­dre la fuite. [NDLR : la déc­la­ra­tion de l’avocat du cycliste est à lire aus­si pour les curieux.]

En quelques jours, la vidéo fait le tour des rédac­tions du web. On apprend par une pléthore d’articles que la famille a porté plainte con­tre le cycliste délin­quant. Celui-ci aurait d’ailleurs eu l’outrecuidance d’appeler le père de famille pour lui deman­der de retir­er la plainte, n’esquissant au télé­phone que de mai­gres excus­es. Le père, out­ré, n’a pas plié, et la police wal­lonne a lancé un avis de recherche con­tre l’individu.

Cap­ture de la vidéo sur Youtube — https://www.youtube.com/watch?v=MxSJOzh5pq8

Si vous avez raté la polémique, c’est que vous vous épargnez les réseaux soci­aux et les mau­vais sites d’actus : félic­i­ta­tions. Parce que pen­dant ce temps, des cen­taines d’internautes se sont écharpés sur le thème « c’est bien la preuve que les cyclistes sont des fous dan­gereux et aso­ci­aux ».

L’incivilité de cer­tains cyclistes sert bien trop sou­vent d’argument fal­lac­i­eux pour défendre le sta­tus quo auto­mo­bi­lo-cen­tré de nos villes. C’est le fameux « oui mais les cyclistes » … qui ne prou­ve pas grand-chose mais qui nous fait per­dre beau­coup de temps. Dans le cas présent, toutes les con­di­tions sont réu­nies pour que ça se passe mal : d’abord, on est sur une voie partagée entre vélo et pié­tons, ce qui est bien sou­vent le ter­reau de con­flits d’usages délétères ; de plus, le cycliste est un cyclo-sportif, qui par nature veut aller vite… C’est déjà un mir­a­cle qu’il dis­pose d’une son­nette et l’utilise… Pour couron­ner le tout, il neige. Bref, un véri­ta­ble scé­nario cat­a­stro­phe.

Une indignation abusive ?

Mais, peut-être pire que le « oui mais les cyclistes », de très hon­or­ables défend­eurs du vélo se sont aus­si sai­sis de l’événement pour faire val­oir le « deux poids deux mesures » qui règne sur la route. En effet, les inci­vil­ités des con­duc­teurs d’automobiles ou de scoot­ers sont, elles aus­si, sou­vent filmées et mis­es en ligne, mais elles ne provo­quent pas une telle indig­na­tion, et encore moins une mobil­i­sa­tion des forces de l’ordre pour en retrou­ver l’auteur. Nos hon­or­ables défend­eurs du vélo n’ont pas tort, mais en s’indignant à leur tour, ils ont ali­men­té une polémique qui n’en demandait pas tant.

Certes le traite­ment de l’affaire est com­plète­ment dis­pro­por­tion­né, certes il est hâtive­ment et abu­sive­ment récupéré par les ardents défenseurs du sta­tus quo auto­mo­bile. Mais dans notre his­toire, tout cela tend à nour­rir une escalade de la ten­sion dont rien ne peut sor­tir de bon. C’est le pro­pre des réseaux soci­aux. La petite fille a été poussée, elle est tombée, elle aurait pu se faire mal, les par­ents sont très en colère. Point. Inter­net se saisit du faits divers, les lecteurs s’identifient peut-être, c’est un état de fait… Dans cette his­toire, si on veut réelle­ment pro­mou­voir une autre mobil­ité, il n’y a aucun com­men­taire à for­muler et rien à min­imiser.

Quelles leçons tirer de la polémique

En matière de « oui mais les cyclistes », la polémique ne sert à rien. Vous pou­vez tou­jours ten­ter d’argumenter, chiffres à l’appui, à pro­pos de l’accidentalité routière, il est peu prob­a­ble que la rai­son l’emporte sur l’affect. Alors que faire ?

Tout d’abord, tout pro­mo­teur du vélo comme mode de déplace­ment n’est pas obligé de se sen­tir sol­idaire de n’importe quel abru­ti, aus­si cycliste soit-il ou soit-elle. Il nous faut à tout prix éviter de tomber dans le piège de l’essen­tial­i­sa­tion abu­sive du « cycliste » — cela évite de se sen­tir agressé et un indi­vidu droit dans ses bottes est tou­jours plus apte à défendre une posi­tion raisonnable que quelqu’un qui s’énerve.

Ensuite, évidem­ment, il faut tâch­er d’être exem­plaire, et en par­ti­c­uli­er envers les usagers les plus vul­nérables, à pied ou vélo. Oui, le vélo c’est peut-être un mode rapi­de et effi­cace, mais c’est aus­si un mode con­vivial, civ­il, social. En atten­dant un réseau express qui per­me­t­tent d’aller très vite, il n’est pas pos­si­ble de se com­porter comme un goug­nafi­er [1]. Laiss­er pass­er les pié­tons aux pas­sages pié­tons, sourire aux pas­sants, dire « par­don, par­don », non seule­ment ça met tout le monde de bonne humeur, mais en plus, c’est une néces­sité mil­i­tante.

Restons sere­ins dans la tem­pête.

Autorisons-nous aus­si à sépar­er le bon grain de l’ivraie. Oui, il y a des usagers du vélo incivils, dan­gereux pour eux-mêmes et les autres, et non, on ne trou­ve pas ça bien. Enfourcher un vélo ne revêt pas automa­tique­ment le cycliste de toutes les ver­tus civiques. Pour autant, à l’échelle sociale, plus de vélos et moins de voitures, c’est moins de morts, moins de risques d’être ren­ver­sés, moins de bruits, moins de pol­lu­tion, plus de san­té, plus de joie… vous con­nais­sez la chan­son. Alors, oui, il faut plus de vélo, même si ça veut dire, mécanique­ment, plus de cyclistes incivils.

Et puis enfin, ne prenons pas les réseaux soci­aux pour des espaces où il est pos­si­ble de forg­er une pen­sée com­plexe et fine. Tout ce qui pour­ra être retenu con­tre vous le sera imman­quable­ment. Min­imiser une inci­vil­ité, mal­gré les argu­ments qui entourent vos pro­pos, c’est une erreur de poids.

Moins de marasme, plus de militantisme

Dans la morosité ambiante, si les pro-vélo pre­naient de (bonnes) réso­lu­tions? Moins poster de con­tenus exas­pérants (même s’il faut un peu de colère pour nour­rir la lutte), ne pas nour­rir les trolls, et surtout, être ent­hou­si­as­mant. Cela n’est pas tou­jours facile d’être posi­tif à pro­pos de nos expéri­ences à vélo. Nous pou­vons néan­moins don­ner envie à ceux qui se met­tent au vélo de rejoin­dre le mou­ve­ment pro-vélo : ensem­ble, nous pou­vons chang­er les ter­ri­toires, nous pou­vons lut­ter con­tre l’impérialisme auto­mo­bile, nous pou­vons ren­dre au vélo toute sa place.

 

[1]      Si j’osais, je dirais « comme un con­duc­teur de T-max » mais c’est une général­i­sa­tion sans doute abu­sive…
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Joseph D'halluin

Cycliste engagé, membre du conseil d'administration de la FUB et de Pignon sur Rue

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2 Comments

  1. Je partage l’avis de l’auteur. Je n’ai pas réa­gi sur cette polémique, et per­son­nelle­ment je ne milite pas “pour les cyclistes” mais plutôt “pour que tous ceux qui veu­lent se déplac­er à vélo puis­sent le faire en sécu­rité”.
    Et ce n’est pas pour rien que j’ai ini­tié le #Pié­ton­Roi 😉

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