La Tribune
Le vélo, casseur de grève ?
La pratique du vélo explose durant les grèves, on peut s’en réjouir ! Mais faut-il faire du vélo un symbole des opposants à la grève ?
5 décembre 2019, c’est l’effusion dans le monde du vélo, les centrales syndicales appellent à une grève qui s’annonce particulièrement suivie dans les transports collectifs. Tous les pro-vélo ont en tête 1995 : la longue grève (de la RATP notamment) a lancé le renouveau du vélo en Île-de-France. Et en effet, dans les grandes villes, la grève lancée en décembre a eu un effet extrêmement positif sur l’usage du vélo : le trafic a été multiplié par deux ou trois sur les pistes cyclables parisiennes.
Il y a plusieurs leçons à tirer.
Les modes de transports sont en concurrence, d’abord. L’usage du vélo augmente mécaniquement lorsque d’autres modes sont impraticables (soit des usagers des TC soit des automobilistes, confrontés à des bouchons dantesques, passent au vélo). On le sait déjà, mais ce n’est pas tous les jours qu’on peut le constater avec autant de clarté que durant ces grèves. La couverture média intense sur les problématiques de transports et sur le vélo s’est concentrée sur la région parisienne, ne l’oublions pas. Ailleurs, les grèves sporadiques ont eu un effet réel, mais pour obtenir un effet durable, il faudra du courage politique pour rendre moins attractif l’usage de la voiture.
L’autre leçon est politique. Le vélo peut devenir un symbole pour les opposants au mouvement social. On a vu sur les réseaux sociaux de farouches opposants à la grève de la RATP s’enorgueillir d’avoir réussi à aller au boulot à vélo — « messieurs/dames les grévistes, vous ne m’aurez pas ». Plantu en a fait un dessin (Marianne chevauchant un vélo en forme de Philippe Martinez). Le Point a rédigé un savoureux article intitulé « Ces gens de droite convertis au vélo… et à Hidalgo », y témoignent des scooteristes ou automobilistes repentis, néo-usagers du vélo, convaincus par la politique d’aménagement de la maire.
C’est une bonne nouvelle : le vélo sort du « ghetto » écolo. La bataille culturelle menée par la FUB et ses membres porte des fruits visibles puisque de plus en plus d’acteurs politiques, de médias, de tous horizons, parlent avec sérieux de la solution vélo.
Cela dit, il faut être vigilant. La FUB n’a pas vocation à émettre un avis sur la stratégie des syndicats pour s’opposer au projet du gouvernement, et encore moins sur la réforme des retraites. Elle n’a pas d’avis sur le service minimum dans les transports, contrairement à la FNAUT. Elle œuvre pour « rendre attractive et sûre » la solution vélo. Or, dans cette période de grève, la frontière a été parfois ténue entre « accompagnement des potentiels usagers vers le vélo » et franche réjouissance que les grèves n’aient pas d’impact sur les cyclistes. Gagner des soutiens chez les anti-grèves, pourquoi pas ! Mais contribuer à faire du vélo un outil de lutte contre les syndicats, bof…
Or, nous n’avons pas à choisir. En témoigne l’astucieuse formule de Mieux se Déplacer à Bicyclette (MDB) dans son infolettre de décembre 2019 : « vos collègues se demandent par quel miracle ils vont pouvoir arriver au boulot quand les autres s’interrogent sur le meilleur moyen d’aller à la manif’ ? […] Vous connaissez la solution : le vélo ! ».