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Véhicules autonomes et modes actifs

Comment les véhicules autonomes (bus, minibus, taxis, voitures particulières, voire camions de livraison...) cohabiteront-ils demain avec les piétons et les cyclistes dans les rues de nos villes ? Tenter de répondre à cette question pourrait bien nous permettre de préciser l’avenir de ces véhicules.

Des rues plus sûres

Grâce à l’arrivée des véhicules autonomes, les rues seront plus sûres, nous dit-on. C’est qu’en effet, un automa­tisme peut réa­gir beau­coup plus vite qu’un humain à un événe­ment imprévu. On estime qu’il faut en général une sec­onde à un con­duc­teur, en atten­tion dif­fuse, entre l’instant où un obsta­cle sur­git dans son champ de vision et l’instant où les freins com­men­cent à agir sur les roues du véhicule. Ce temps peut être réduit à une demie sec­onde si le con­duc­teur est par­ti­c­ulière­ment atten­tif ou au con­traire dur­er deux sec­on­des s’il est dis­trait, parce qu’il télé­phone en même temps par exem­ple. Pen­dant ce temps, le véhicule con­tin­ue sa course à la même vitesse ini­tiale et se rap­proche de l’enfant qui tra­verse en courant sans regarder ou du cycliste qui sur­git d’une rue adja­cente…

Avec un véhicule autonome bardé de cap­teurs sophis­tiqués, ce temps de réac­tion est qua­si nul. Certes, le temps de freinage, lui, ne change pas : autonome ou non, le véhicule a tou­jours une forte iner­tie liée à sa masse et à sa vitesse (e = ½.m.v2). Con­crète­ment, s’il faut au con­duc­teur 1 s pour réa­gir, cela veut dire qu’à 50 km/h, une voiture clas­sique a besoin de 26 m pour s’arrêter, alors qu’une voiture autonome n’a besoin que de 13 m (deux fois moins). À 30 km/h, une voiture clas­sique a besoin de 13 m pour s’arrêter et une voiture autonome de seule­ment 5 m.

Ségrégation des circulations et cohabitation des usagers

En milieu urbain, deux cas se présen­tent. 1/ À vitesse élevée (plus de 30 km/h), les véhicules motorisés s’imposent grâce à leur iner­tie (leur masse et leur vitesse). Les modes act­ifs ont tout intérêt à en rester éloignés car, pour le dire sim­ple­ment, on n’a jamais vu un pié­ton ou un cycliste ren­vers­er une voiture. Pour lim­iter les acci­dents, la solu­tion con­siste alors à sépar­er les cir­cu­la­tions, en instal­lant des obsta­cles (bar­rières, terre-plein, ban­quettes, véhicules en sta­tion­nement…) ou en imposant des régle­men­ta­tions (sites pro­pres pour les bus inter­dits à tout autre véhicule, pas­sages pié­tons ou pistes cyclables oblig­a­toires, sens de cir­cu­la­tion…).

2/ À vitesse réduite (moins de 30 km/h), une cohab­i­ta­tion entre les modes de déplace­ment devient pos­si­ble. La ségré­ga­tion des flux n’est plus de mise. Les usagers de la rue sont amenés à négoci­er entre eux les con­flits poten­tiels. Tout se passe alors par des inter­ac­tions entre gens jugés respon­s­ables de leurs actes. Cha­cun cherche à voir si l’autre a com­pris le pos­si­ble dan­ger. Si les regards se croisent, un échange implicite a lieu : l’automobiliste, le chauf­feur de bus ou le camion­neur décide de s’imposer ou au con­traire de ralen­tir, voire de s’arrêter. Le pié­ton ou le cycliste accepte d’attendre que le véhicule passe ou au con­traire remer­cie qu’on lui laisse le pas­sage. La plu­part du temps, cela se passe bien. Par­fois, on se fusille du regard ou même on s’engueule, mais il y a plus de peur que de mal. Si le croise­ment des regards est impos­si­ble (dépasse­ment d’un cycliste, par exem­ple), la pru­dence s’impose, car l’absence d’interaction est une source majeure d’accidents. C’est d’ailleurs pourquoi, en milieu urbain, les véhicules motorisés sont oblig­és de laiss­er une dis­tance d’au moins un mètre en dépas­sant les cyclistes.

Que se passera-t-il avec l’arrivée des véhicules autonomes ?

Pro­to­type de « self dri­ving car » présen­té par Google à Moun­tain View (Cal­i­fornie) © M. Shick

Pour un véhicule autonome, le pre­mier cas est beau­coup plus facile à gér­er que le sec­ond. Pour bien fonc­tion­ner, les automa­tismes ont en effet besoin d’un envi­ron­nement sim­ple à com­pren­dre. La ten­dance sera donc de mul­ti­pli­er les couloirs réservés à ces véhicules. S’il s’agit de don­ner la pri­or­ité à des trans­ports publics autonomes, on reste dans une logique bien con­nue. L’autonomie sera même un puis­sant argu­ment pour mul­ti­pli­er les couloirs de bus, au détri­ment du traf­ic auto­mo­bile. Mais dans ces sites pro­pres les cyclistes ne seront pas les bien­venus. Car c’est à ces con­di­tions que la vitesse com­mer­ciale sera suff­isante et que le bus autonome, très coû­teux à l’achat, pour­ra devenir rentable. Les sociétés de trans­ports publics l’ont bien com­pris et elles sont déjà en train de pro­mou­voir cette solu­tion.

Dans le sec­ond cas – la cohab­i­ta­tion des cir­cu­la­tions –, tout se com­plique. Les inter­ac­tions basées sur la négo­ci­a­tion per­ma­nente des con­flits poten­tiels par le croise­ment des regards ne seront plus pos­si­bles. Les véhicules autonomes ne promèneront plus que des sil­hou­ettes sans regard ou seront même totale­ment vides. Oui, vides, car après avoir amené un ou plusieurs usagers à des­ti­na­tion, de nom­breux véhicules autonomes iront en effet se gar­er sur des places de sta­tion­nement éloignées, gra­tu­ites ou peu chères, ou iront chercher d’autres per­son­nes à trans­porter. On va donc tout droit, à cer­taines heures, vers des bou­chons con­sti­tués prin­ci­pale­ment de véhicules autonomes vides, esti­ment cer­tains spé­cial­istes !

Faute d’interaction, il ne restera plus au pié­ton ou au cycliste qu’à juger de la vitesse du véhicule qui sur­git et de sa capac­ité à s’arrêter à temps ou non. Comme le véhicule autonome s’arrête deux fois plus vite, l’usager non motorisé ne se privera pas d’en prof­iter pour s’im-poser plus sou­vent dans les zones de cir­cu­la­tion apaisée. Et cela d’autant plus que, con­traire-ment aux con­duc­teurs humains qui flir­tent sans cesse avec les règles du code de la route, le véhicule autonome respectera stricte­ment ces règles, notam­ment les vitesses lim­ites, les dis­tances inter­véhic­u­laires et l’arrêt aux feux rouges et aux stops. Pas ques­tion, pour les con­struc­teurs de véhicules autonomes, d’enfreindre le code de la route, pour des raisons juridiques de respon­s­abil­ité en cas d’accident.

Une régression coûteuse ?

Pié­tons et cyclistes prof­iteront donc des capac­ités de réac­tion instan­ta­née des véhicules autonomes pour s’imposer. Mais il leur fau­dra être sûrs que le véhicule qui s’avance est bien autonome et a bien cette capac­ité de s’arrêter vite. S’ils ne voient per­son­ne à l’intérieur, ce sera sûre­ment le cas. Sinon, tant que tous les véhicules ne seront pas autonomes, le doute s’installera et ils préféreront être pru­dents.

Pour les occu­pants des véhicules autonomes, dans les rues où la cohab­i­ta­tion sera la règle, les déplace­ments risquent de ne pas être de tout repos. Les véhicules pour­raient pass­er leur temps à pil­er devant le moin­dre obsta­cle, faute d’échange de regards avec les pié­tons et les cyclistes qui sur­gis­sent de partout et faute de jouer avec les règles du code de la route. Pour éviter une con­duite trop heurtée, ils rouleront très lente­ment, ce que l’on con­state déjà lors des expéri­men­ta­tions actuelles. De quoi décourager leur usage et inciter leurs occu­pants à se met­tre à la marche ou au vélo, pour retrou­ver une vraie lib­erté de déplace­ment !

Cer­tains réclameront cepen­dant, comme pour les trans­ports publics, des voies réservées, des sites pro­pres pour voitures, qui ne seront finale­ment rien d’autres que des avatars d’autoroutes ou de voies rapi­des inter­dites aux pié­tons et cycles. Revenir à de tels amé­nage­ments ségré­gat­ifs, qui sépar­ent les usagers selon leur vitesse, serait une régres­sion coû­teuse, que nous n’aurons de toutes façons plus les moyens de réalis­er.

Dans la jungle des déplacements urbains

Dans les années à venir, la réduc­tion du traf­ic auto­mo­bile se pour­suiv­ra au prof­it des modes alter­nat­ifs © Pho­to Cycling

En con­clu­sion, les trans­ports publics autonomes devraient con­naître un grand avenir, à con­di­tion que leurs pro­mo­teurs obti­en­nent les sites pro­pres qui faciliteront leur cir­cu­la­tion, mais ces couloirs risquent fort d’être inter­dits aux cyclistes qui devront obtenir des amé­nage­ments cyclables en com­pen­sa­tion. En revanche, dans la jun­gle des déplace­ments urbains, les voitures autonomes auront beau­coup plus de mal à s’imposer que les voitures actuelles. Et finale­ment, la réduc­tion du traf­ic auto­mo­bile se pour­suiv­ra au prof­it des modes alter­nat­ifs. Déjà bien entamée dans les cen­tres-villes, cette évo­lu­tion s’étendra peu à peu à la périphérie et aux villes moyennes.

Frédéric Héran

Un article à lire aussi dans Vélocité144 — janv.-fév. 2018, une publication de la FUB.

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