Décryptage

Ateliers vélo : un modèle économique appelé à évoluer

Le réemploi et la valorisation dans les ateliers vélo étaient l’objet d’un des ateliers de la journée d’études du vendredi 7 février. Grâce à une loi en préparation sur l’économie circulaire, les ateliers d’auto-réparation pourraient se retrouver plus à l’aise pour répondre à leur mission.

Le vélo n’ouvre pas seule­ment des hori­zons au sens pro­pre. Cer­tains décou­vrent, et générale­ment assez vite, son hori­zon social et sol­idaire au-delà de son aspect util­i­taire et sou­vent indi­vid­u­al­iste. En con­frontant les expéri­ences des uns et des autres dans des con­textes dif­férents, la ren­con­tre du ven­dre­di après-midi autour des ate­liers vélo a été riche d’enseignements.

Riche, l’usager moyen de l’atelier vélo ne l’est pas for­cé­ment. Un respon­s­able d’atelier dans les Deux-Sèvres témoigne : « A Niort on s’est posé la ques­tion d’embaucher un salarié mais ça met­tait en péril l’association. On a pris le par­ti de réduire la voil­ure. Du coup, les vélos on les donne. On a des mineurs de 16 ou 17 ans qui arrivent d’Afrique. Ils font par­fois 20 km pour aller boss­er. On s’est posi­tion­nés sur un créneau et on a notre place. »

Des vélos à 20

Récup’R, l’atelier d’auto-réparation instal­lé der­rière la gare à Bor­deaux ©Récup’R

Autre expéri­ence à Bor­deaux rap­portée par Aurélie Schild, coor­di­na­trice d’Etu-Récup, ressourcerie implan­tée sur le cam­pus uni­ver­si­taire : « On récupère tout en déchet­terie, on a un accord avec la police de Pes­sac. On récupère 400 vélos  par an et il y en 200 qui repar­tent. On vend aus­si du vélo bas de gamme, il y a des étu­di­ants qui n’ont vrai­ment pas beau­coup d’argent ; et il y a beau­coup de vols, du coup des étu­di­ants nous deman­dent sou­vent un vélo pas cher et moche comme ça on ne le vol­era pas. On vend des vélos à 20 €. »

Réac­tion aus­sitôt dans la salle : « Il y a des étu­di­ants qui n’ont même pas 20 € à met­tre dans un vélo ».

Migrants, étu­di­ants en sit­u­a­tion de pré­car­ité, ou tout sim­ple­ment des gens freinés par les tar­ifs des trans­ports en com­mun. Le pub­lic con­cerné est si large que les ate­liers vélo fédérés par L’Heureux Cyclage ont con­nu en dix ans une crois­sance phénomé­nale : de 10 en 2010 on est passé à 250 aujourd’hui.

Et demain arrive entre les mains de nos par­lemen­taires un pro­jet de loi visant à encadr­er l’économie cir­cu­laire tout en évi­tant gaspillages et pol­lu­tions. Claire Toubal, admin­is­tra­trice de L’Heureux Cyclage, a présen­té les bons côtés de cette ini­tia­tive, mais aus­si ses effets per­vers pour ceux qui dépensent beau­coup d’énergie à remet­tre en état ce qui peut encore fonc­tion­ner.

Financer le coût de la 2e vie

« L’objectif, c’est que les pro­duc­teurs paient une éco-con­tri­bu­tion ver­sée dans un fonds cen­sé abon­der les acteurs du ré-emploi. » Le principe est celui du pol­lueur-payeur. A pri­ori, ce serait plutôt bon pour les ate­liers de L’Heureux Cyclage, surtout pour ceux qui se dis­ent aujourd’hui « ultra-défici­taires ». Mais atten­tion : il ne faudrait pas installer dans la durée un sys­tème qui val­orise mieux le déchet brut repris à la tonne (la fer­raille) que l’objet patiem­ment restau­ré pour lui don­ner une deux­ième vie (un vélo qui roule). Dans le pre­mier cas, on se con­tente d’éviter la décharge publique ou l’incinération. Dans le sec­ond, le temps de main d’œuvre est évidem­ment beau­coup plus impor­tant. Et l’équilibre du mod­èle économique des ate­liers dépen­dra en grande par­tie de ce recy­clage financier en prove­nance de l’industrie. Tout comme leur développe­ment dans les villes où ils n’existent pas encore. Car jusqu’à présent il est clair que sans aucun argent pub­lic, un ate­lier vélo n’est pas mod­èle économique viable.

« On tra­vaille de con­cert avec les pou­voirs publics pour faire avancer ça », assure Claire Toubal, qui pré­cise que la régu­la­tion de cette sec­onde vie fait l’objet d’une clas­si­fi­ca­tion déjà en pré­pa­ra­tion ; le vélo se retrou­verait dans la fil­ière arti­cles de sport et de loisirs, a pri­ori pas la plus mau­vaise case en vue du recy­clage. Sauf le vélo d’enfant qui serait classé dans les jou­ets, et le VAE dans celle des déchets élec­tromé­nagers et élec­tron­iques.

Le grand gaspillage à éviter

Claire Toubal, admin­is­tra­trice, et Céline Zop­pel­lo, coor­di­na­trice de pro­jets à L’Heureux Cyclage, sont inter­v­enues au cours de cet ate­lier ©FUB

L’enjeu est de taille, comme le rap­pelle Claire Toubal qui par­le de « l’aberration dans laque­lle on se trou­ve à l’heure actuelle » : on vend chaque année en moyenne trois mil­lions de vélos neufs en France, alors qu’on en jette un mil­lion et demi. Et actuelle­ment seule­ment 57 000 vélos sont récupérés chaque année, dont 15 % sont val­orisés pour être remis en cir­cu­la­tion.

Une jolie marge de pro­gres­sion, qui réduira peut-être à moyen terme si la clien­tèle du neuf se tourne enfin vers des mod­èles de meilleure qual­ité et donc plus durables, comme dans les autres pays européens. Alors qu’un bon vélo bien entretenu peut servir plus de 30 ans sans prob­lème, « en France on est les mau­vais élèves de l’Europe puisque la durée de vie d’un vélo c’est sept ans », rap­pelle Ben­jamin Pichot, mécani­cien vélo à Récup’R, ate­lier d’auto-réparation instal­lé der­rière la gare de Bor­deaux. Le même rap­pelle que « les mau­vais vélos ne font pas de bonnes pièces », autre argu­ment en faveur de l’achat de bons vélos par ceux qui peu­vent acheter du neuf.

Réparer et former à la réparation

Aujourd’hui, le jeune mécani­cien bor­de­lais ne chôme pas pour « don­ner des savoir-faire aux gens pour qu’ils répar­ent leur vélo. On organ­ise des ate­liers à l’extérieur, on a accueil­li beau­coup de mécani­ciens qui voulaient par­ticiper à la vie locale, l’atelier est devenu un lieu impor­tant dans notre quarti­er. Aujourd’hui on compte 120 vélos réparés chaque année. On tra­vaille avec des appro­vi­sion­nements soci­aux, les caves d’immeubles encom­brées par des vélos. On tra­vaille aus­si avec la police nationale et on a eu un don impor­tant de la Métro­pole. Un peu tout le monde nous achète des vélos. Le flux impor­tant, on a par­fois du mal à veiller à tout et à gér­er tout ça. »

Ben­jamin le mécani­cien est vite devenu for­ma­teur : « Sur un vélo, il y a 1 000 pièces ; il y a des gens qu’il faut for­mer à une diver­sité de com­pé­tences entre les vieux vélos et les vélos d’aujourd’hui. On voit des bénév­oles qu’il faut for­mer en per­ma­nence. Une grande par­tie de notre tra­vail est invis­i­ble : c’est vrai­ment de la com­plex­ité. »

Il faut espér­er que la loi encad­rant l’économie cir­cu­laire, atten­due en 2022, per­me­tte de mieux gér­er toute cette com­plex­ité, tout en amenant les bases d’un mod­èle économique plus équili­bré à l’ensemble des ate­liers de val­ori­sa­tion.

Un article à lire aussi dans Vélocité n°154 — janvier-février-mars 2020, une publication de la FUB.

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