La Tribune

Rencontre avec Stein van Oosteren

Difficile de ne pas avoir entendu parler de Stein. Encore tout frais débarqué dans l’univers pro-vélo, le militant venu des Pays-Bas a séduit les réseaux sociaux et les médias avec son enthousiasme irrésistible et sa vélosophie pratique. Comme président de FARàVélo ou porte-parole du Collectif Vélo Ile-de-France, il met ses deux mètres et sa sagesse à profit. Rencontre.

Peux-tu te présen­ter rapi­de­ment ? Que fais-tu dans la vie ? Depuis quand vis-tu en France ?
Je me suis instal­lé en France en 1996, j’avais alors 23 ans. J’avais deux objec­tifs : par­ler la langue de Molière et devenir pro­fesseur de philoso­phie. J’ai raté mon deux­ième objec­tif, mais je me suis recon­ver­ti dans la véloso­phie. J’aime beau­coup aus­si ! Pro­fes­sion­nelle­ment, je suis attaché diplo­ma­tique à la délé­ga­tion néer­landaise auprès de l’UNESCO. C’est là que j’ai appris les tech­niques pour fédér­er des points de vue très dif­férents autour d’une table et d’une vision com­mune.

En tant que Néer­landais arrivant en France, quelle a été ta pre­mière impres­sion liée au vélo ?
Aucune ! Car il n’y en avait aucun, donc je me suis adap­té. Mais très vite, le naturel est revenu au galop : j’ai acheté un vélo car c’était plus pra­tique. Ce n’est que 21 ans plus tard, en ren­con­trant les asso­ci­a­tions vélo, que je me suis aperçu à quel point mon nou­v­el envi­ron­nement était déséquili­bré, bruyant, hos­tile, anti-enfant, anti-sénior, anti-bien-être. Et c’est seule­ment ensuite, grâce à mon recul depuis l’étranger, que je me suis ren­du compte à quel point les villes de mon enfance étaient apaisées.

Qu’est-ce-qui t’as poussé à t’impliquer dans l’action asso­cia­tive pour le vélo ?
Je voulais me ren­dre utile à la société et ren­con­tr­er des gens. J’étais déjà engagé dans un comité citoyen. À un moment don­né, nous cher­chions un pro­jet pour amélior­er et retiss­er une rela­tion avec la mairie de Fonte­nay-aux-Ros­es. J’ai pro­posé le développe­ment du vélo, spon­tané­ment. À par­tir de là j’avais deux objec­tifs, qui m’animent tou­jours : démoc­ra­tis­er le vélo, et con­stru­ire une rela­tion de tra­vail de qual­ité avec les décideurs.

Quels sont tes talents/compétences que tu mets au ser­vice du mou­ve­ment pro-vélo ?
Je viens d’une cul­ture qui ne val­orise pas le con­flit, con­traire­ment à la France. Met­tre de l’eau dans son vin est vu comme une qual­ité aux Pays-Bas, alors qu’en France c’est plutôt la guerre des égos et de l’éloquence qui val­orise les per­son­nes. Ca me fascine, je pense même que ça m’a fait venir en France, mais ce n’est pas tou­jours très effi­cace (rires). Per­son­nelle­ment je déteste le con­flit, et j’utilise toute mon énergie pour le désamorcer en focal­isant l’attention sur ce que nous avons en com­mun. Ça donne une sérénité pour laque­lle on me remer­cie sou­vent. Et puis j’aime expli­quer et partager ce qui m’a motivé et enrichi per­son­nelle­ment. Ce qui explique, je pense, pourquoi on m’a pro­posé d’être porte-parole du Col­lec­tif Vélo Île-de-France.

Quelles sont tes impres­sions de la FUB vu de l’intérieur ?
Je vois une grande pro­fes­sion­nal­ité. Une machine red­outable­ment effi­cace pour chang­er vrai­ment la société. Les superbes ate­liers de Joseph D’halluin m’ont appris com­ment motiv­er les adhérents pour une cause : le droit à la mobil­ité active. La mise en place du Baromètre des villes cyclables par Charles Maguin, qui a sus­cité un intérêt médi­a­tique majeur pour le vélo, m’a beau­coup inspiré. Lors de la dernière AG de la FUB au Mans en 2019, le prési­dent Olivi­er Schnei­der nous racon­tait qu’un con­seiller poli­tique lui avait dit « mais vous, la FUB, vous êtes nulle part ! ». « À par­tir de ce moment », dis­ait Olivi­er, « j’ai décidé d’être partout ». Et c’est le cas : Olivi­er est partout et le vélo est devenu un sujet de société. La FUB, ce sont les couliss­es de la vélo-diplo­matie. Je m’y sens comme un pois­son dans l’eau, comme dans mon tra­vail pour le min­istère des Affaires Étrangères néer­landais.

Nous réal­isons cette inter­view mi-avril, en pleine crise san­i­taire [ndlr: avant l’annonce du Coup de Pouce Vélo]. Com­ment vis-tu cette péri­ode si par­ti­c­ulière ? Qu’est-ce-qu’elle t’inspire ?
Lorsque les préfets ont com­mencé à fer­mer des pistes cyclables alors que dans le monde entier on ouvrait des pistes cyclables tem­po­raires, je voulais m’enterrer. Voir un tel acharne­ment con­tre la meilleure solu­tion de pro­tec­tion indi­vidu­elle à l’œuvre au plus haut niveau de l’Etat, c’est décourageant. Et puis il y a eu ce for­mi­da­ble sur­saut asso­ci­atif, à com­mencer par Véloc­ité Mont­pel­li­er qui a déclenché le pre­mier pro­jet de piste cyclable tem­po­raire en France. Et puis «boum !», Elis­a­beth Borne, min­istre de la Tran­si­tion écologique, mis­sionne Pierre Serne pour accélér­er en urgence le déploiement de la solu­tion vélo dans toute la France. Je me suis pincé trois fois avant de retweet­er ça. Je voulais danser sur la table, embrass­er tout le monde.

Com­ment vois-tu le vélo en France dans 20 ans ?
La den­sité des villes aura aug­men­té énor­mé­ment, et avec elle le besoin d’une meilleure qual­ité de vie. L’espace urbain sera si rare, que les poli­tiques auront tous adop­té la solu­tion vélo comme un com­posant essen­tiel et évi­dent du sys­tème de mobil­ité. L’espace urbain ne sera plus con­sid­éré comme un « tuyau à voitures », mais comme un espace de vie pré­cieux qu’il faut pro­téger en opti­misant les mobil­ités actives. Une rue inac­ces­si­ble au vélo, comme la majorité des rues en France aujourd’hui, sera con­sid­érée comme un reli­quat de l’ancien monde, un peu comme un restau­rant où l’on fume. On aura com­pris que dans une ville où l’on fait tout pour la voiture, tout le monde est per­dant, y com­pris les auto­mo­bilistes !

Un mes­sage pour les assos du réseau ?
Pre­mier con­seil : unis­sez-vous et par­lez d’une seule voix. J’ai pu vivre en direct la nais­sance d’un acteur socié­tal puis­sant en regroupant 35 asso­ci­a­tions en un seul Col­lec­tif Vélo Île-de-France. D’un coup, les poli­tiques n’avaient plus affaire à une myr­i­ade d’associations qui dis­aient tout et son con­traire, mais à une organ­i­sa­tion pro­fes­sion­nelle et experte. D’une « bande d’associatifs », nous sommes devenus une insti­tu­tion incon­tourn­able. Deux­ième con­seil, au moins aus­si impor­tant : amusez-vous ! Met­tez la con­vivi­al­ité au cœur de votre pro­jet. Célébrez vos réus­sites, faites-en une tra­di­tion. Et enfin, met­tez cha­cun de vos adhérents en valeur à tour de rôle.

Un mes­sage pour les per­son­nes qui se dépla­cent à vélo en France ?
Je les remer­cie. Sans le savoir, ils con­tribuent à une trans­for­ma­tion socié­tale majeure en faisant quelque chose qui relève encore de l’acte mil­i­tant en France : pédaler.

Souhaites-tu ajouter quelque chose ?
Oui. Le vélo en soi n’est pas un sujet qui m’intéresse beau­coup. Il me plaît plutôt pour ce qu’il révèle : les rap­ports de force, notre côté irra­tionnel et la grande com­plex­ité d’une société humaine qui en résulte. Le vélo est une chose banale qui, mine de rien, nous amène à repenser notre façon de vivre, nos rela­tions avec les autres, les futures généra­tions et aus­si avec nous-mêmes. Bref, une source de sens et de sol­i­dar­ité qui, pour l’instant, ne cesse de me don­ner soif.

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