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Cadres et ouvriers, hommes et femmes : tous en piste ?

Aller au travail à vélo, une pratique réservée aux privilégiés ? L’analyse croisée des nouvelles informations tirées du recensement de la population par l’Insee et du Baromètre des villes cyclables nuance cette hypothèse.

Aux heures de pointe, hommes et cadres sont sur­représen­tés par­mi les cyclistes. Sur dix cyclistes, six sont des hommes, qua­tre des femmes. Les cadres, loin de con­stituer la caté­gorie sociale la plus courante dans la société (18%), sont pour­tant les pre­miers des vélotaffeurs (29 %). À pre­mière vue, la pra­tique du vélotaf sem­ble être le domaine de prédilec­tion des «priv­ilégiés». Ce serait pour­tant répon­dre un peu trop vite à la ques­tion.

Qui vélotaffe ?

Oui, près de trois cyclistes sur dix sont des cadres. Mais dans le même temps, qua­tre sur dix sont ouvri­ers ou employés. De plus, la lec­ture en ter­mes d’inégalités sociales ne se résume pas aux caté­gories socio-pro­fes­sion­nelles. Les con­di­tions d’emploi per­me­t­tent ain­si d’analyser la pré­car­ité : con­trats aidés ou de courte durée sont les mar­queurs d’une plus grande fragilité sociale. À ce titre, sta­giaires, appren­tis et autres tra­vailleurs en con­trats courts sont ceux qui se dépla­cent le plus fréquem­ment à vélo : plus de 2,5 % de vélotaf (2,1% en pop­u­la­tion glob­ale). Ce con­stat rejoint en par­tie le fait que les act­ifs de 1519 ans cor­re­spon­dent à la tranche d’âge qui pédale le plus (plus de 3 %). Ces élé­ments vien­nent écorner l’image d’Épinal du cycliste bour­geois-bohème, priv­ilégié, qui serait l’unique béné­fi­ci­aire des poli­tiques cyclables.

L’analyse soci­ologique du vélotaf doit aus­si pren­dre en compte les dif­férences sociales de lieu de rési­dence, de tra­vail, la dis­tance à par­courir et les amé­nage­ments qui jalon­nent ce tra­jet. Ain­si, les cadres rési­dent et tra­vail­lent plus sou­vent dans les grands pôles urbains, ter­ri­toires plus prop­ices que d’autres à un usage sécurisé du vélo. Si l’on ne regarde que les act­ifs rési­dant dans ces grandes villes, l’écart dans la pra­tique du vélotaf entre cadres et ouvri­ers se réduit légère­ment : de 1,6 fois plus de cadres à vélo que d’ouvriers, à 1,5 fois plus. Sans expli­quer la dif­férence d’usage, cela mon­tre la com­plex­ité des paramètres à con­sid­ér­er.

Les plus pré­caires sont plus sou­vent à vélo Source : recense­ment de la pop­u­la­tion 2017, Insee

Le moin­dre usage du vélo comme mode de trans­port par les femmes est sou­vent posé comme une évi­dence. La faute à la cul­ture très mas­cu­line du vélo-sport ? En 2019, seule­ment 11% des déten­teurs d’une licence de la Fédéra­tion Française de Cyclisme sont des femmes (et guère plus à celle de cyclo­tourisme). La moin­dre pra­tique du vélotaf par les femmes s’inscrit égale­ment dans le cadre glob­al de notre société patri­ar­cale. Avoir la charge effec­tive des enfants com­plique l’usage du vélo. Ain­si, l’écart femmes-hommes est au plus haut pour les adultes avec enfants : pour 1 % de femmes en cou­ple avec enfant qui vont tra­vailler à vélo, ce sont 1,7 % des hommes dans la même sit­u­a­tion qui vélotaffent.
Le croise­ment de ces don­nées socio-démo­graphiques, local­is­ables à la com­mune de rési­dence avec le classe­ment au Baromètre FUB, per­met d’évaluer l’impact des amé­nage­ments cyclables sur la pra­tique cycliste. Comme mon­tré dans l’analyse glob­ale (page 1011), le vélotaf est plus fréquent dans les com­munes les mieux classées [1].

La charge éduca­tive freine la pra­tique du vélotaf par les femmes
Source : recense­ment de la pop­u­la­tion 2017, Insee

Plus impor­tant encore, les pro­fils de cyclistes se diver­si­fient lorsqu’une com­mune est bien classée au Baromètre de la FUB [2]. Mieux la com­mune est notée, plus les femmes sont nom­breuses à y pédaler. De même, la part des ouvri­ers-cyclistes passe de 1,5 % à 8 %, selon que la com­mune est notée G ou B.

L’écart dans l’usage du vélo entre femmes et hommes se réduit avec l’amélioration du cli­mat vélo : pour 1 % de femmes qui péda­lent dans les com­munes notées B, à peine plus de 1 % des hommes péda­lent aus­si (con­tre 1,9 % dans les com­munes G). À l’inverse, la dif­férence d’usage entre ouvri­ers et cadres aug­mente avec la qual­ité du cli­mat vélo de la com­mune de rési­dence : au sein des com­munes notées B, pour 1 % d’ouvriers et employés qui se dépla­cent à vélo, 2,5 % de cadres le font égale­ment (con­tre 1,6 % dans les com­munes G).

Les ouvri­ers et les femmes péda­lent plus dans les com­munes bien notées
Les écarts soci­aux dans la pra­tique du vélotaf sont plus mar­qués dans les com­munes au cli­mat vélo favor­able, les écarts gen­rés le sont moins

Quelles hypothèses peut-on avancer pour expliquer le développement moins rapide de la pratique du vélotaf par les ouvriers ?

En pre­mier lieu, les poli­tiques cyclables ne s’appliquent pas de manière homogène à tous les quartiers d’une com­mune ; il y a fort à pari­er qu’à l’image d’autres poli­tiques publiques, les quartiers les plus pop­u­laires soient les moins bien lotis. De plus, les ouvri­ers présen­tent sou­vent un état de san­té plus dégradé. Au tra­vail, ils sont les plus exposés aux risques physiques (manu­ten­tion, piétine­ment, vibra­tions, gestes répéti­tifs etc.). Ces con­traintes entrent évidem­ment en compte dans le choix ou non d’un mode de trans­port qui demande un effort physique.L’explication est peut-être aus­si en par­tie cul­turelle : se déplac­er en voiture est une norme dans notre société. Se sous­traire à cette mesure est un acte de dis­tinc­tion val­orisant pour cer­tains cadres, mais sans doute moins aisé pour des ouvri­ers.

Les poli­tiques cyclables favorisent la remise en selle de tous : hommes et femmes, cadres et ouvri­ers. Elles prof­i­tent égale­ment aux act­ifs les plus pré­caires. Si les cadres et les hommes béné­fi­cient plus mas­sive­ment de ces avancées, c’est avant tout parce qu’ils font face à moins de con­traintes dans les autres sphères de leur quo­ti­di­en. Les poli­tiques cyclables volon­taristes peu­vent diver­si­fi­er les pro­fils de cyclistes. Il serait égale­ment intéres­sant d’analyser si le report des trans­ports en com­mun vers le vélo observé en 2020 (grèves, crise san­i­taire) entraîne une diver­si­fi­ca­tion sim­i­laire.

[1] La méth­ode d’enquête, ain­si que le car­ac­tère déclaratif, imposent de con­sid­ér­er les « flux » de moins de 200 act­ifs comme des ordres de grandeur selon l’Insee.
[2] Les répon­dants au Baromètre FUB ne sont pas représen­tat­ifs des vélotaffeur-se-s ; le classe­ment peut donc lui aus­si souf­frir d’un biais lié à l’âge, au sexe ou la caté­gorie sociale des répon­dants.

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