Décryptage
Quel rôle pour les associations de cyclistes urbains dans la renaissance du vélo ?
La renaissance du vélo est en cours. Mais toutes les villes sont-elles concernées? Quid des périphéries? Décryptage de Frédéric Héran
La renaissance du vélo est en cours. Elle bat son plein dans le centre des grandes villes de tous les pays développés et de nombreux pays émergents. C’était l’objet de l’article “Cycling Renaissance, le vélo repart dans les grandes villes”.
Mais toutes les villes seront-elles concernées ? Quid de la périphérie des grandes villes et des villes moyennes ? Ces lieux où divers commentateurs nous annoncent que le tout automobile est un horizon indépassable et que l’essor du vélo y restera une utopie ? Comment une association de cyclistes urbains peut-elle réagir dans ses différents contextes ?
La transition écomobile
L’ensemble des déplacements urbains forme un système où tout se tient. Or, depuis toujours, on ne se déplace en moyenne que 3 à 4 fois par jour, aussi le choix d’un mode de déplacement se fait forcément au détriment d’un autre mode. Du seul fait de son énergie cinétique (c’est-à-dire de sa masse et de sa vitesse), la voiture tend ainsi à chasser les modes les plus fragiles et surtout le vélo qui est de loin le mode le plus exposé au danger et aux nuisances du trafic automobile.
Contrairement à une idée reçue, les aménagements cyclables ne suffisent pas à protéger les cyclistes qui doivent toujours, à un moment ou à un autre, se réinsérer dans le trafic, au moins pour franchir les carrefours où se produisent la plupart des accidents. C’est pourquoi, quand la voiture est en plein essor, le vélo décline et quand l’usage de la voiture se réduit, le vélo renaît de ses cendres. La première période était partout manifeste dans les années 1950–1974 et la seconde période est aujourd’hui flagrante dans toutes les grandes villes occidentales
Comment la tendance parvient-elle à s’inverser ? Nous l’avons expliqué dans “Cycling Renaissance” Mais il reste à comprendre les importants décalages qui compliquent sérieuse-ment la transition écomobile.
Décalages dans la croissance automobile
et la régression du vélo
La croissance du trafic automobile n’a pas commencé en même temps dans tous les pays. Les États-Unis ont ouvert la voie dès les années 1920–1930, puis il a fallu attendre les années d’après la Seconde Guerre mondiale pour que la déferlante arrive en Europe. Mais les pays européens ne possédant pas d’industrie automobile – comme les Pays-Bas ou le Danemark – ont tardé à se motoriser.
De même, les automobiles ont d’abord été achetées par les plus fortunés, puis par les classes moyennes et enfin par les milieux populaires, avec des décalages de plusieurs décennies. Dans les grandes villes, ce sont donc les quartiers bourgeois qui ont d’abord été adaptés à la voiture, bien avant les quartiers ouvriers, et le centre bien avant la périphérie. Même remarque pour les grandes villes par rapport aux villes moyennes. La pratique du vélo s’est donc longtemps maintenue, jusque dans les années 1980, en périphérie des grandes villes, dans les villes ouvrières et dans les villes moyennes, une situation totalement inverse à celle d’aujourd’hui.
Décalages dans la réduction du trafic automobile
et l’essor du vélo
La contestation du tout automobile a commencé logiquement dans les villes des pays les plus denses et les plus anciennement urbanisés, parce que la voiture – et ses nuisances – y est à l’évidence inadaptée. Soit d’abord aux Pays-Bas et en Italie du Nord, puis en Allemagne, et enfin au Royaume-Uni et en France. Pour la même raison, ce sont d’abord dans les centres denses et dans les grandes villes que la modération de la circulation automobile a débuté, avant d’atteindre les quartiers plus périphériques et les villes moyennes. Aujourd’hui, les villes bourgeoises depuis longtemps motorisées sont capables de se détacher plus facilement de la voiture que les villes plus populaires pour qui la voiture est une conquête récente. Enfin, les jeunes générations n’ont pas le même attachement à la voiture que les seniors et préfèrent commencer par investir dans un smartphone plutôt que dans le permis, puis s’essayer à des modes actifs plutôt que passifs.
C’est pourquoi, l’usage du vélo renaît d’abord aux Pays-Bas, dans les grandes villes, dans les centres, chez les hauts revenus et chez les jeunes actifs.
À ces grands décalages s’ajoute une multitude d’éléments de contexte qui diversifient les situations. La crise de l’énergie de 1974 a eu plus de retentissement dans les pays soumis au boycott de l’OPEP (comme les Pays-Bas). Les villes qui investissent fortement dans les transports publics ont tendance à freiner le retour du vélo. Les villes touristiques avec un grand plateau piétonnier sont au contraire favorables au vélo. Les villes soumises à des pics de pollution sont plus réceptives à des politiques de modération de la circulation automobile. Les villes plates sont bien sûr plus propices. Etc.
Renouveau du vélo et attitude des parties prenantes
à l’égard des cyclistes
L’hégémonie de la voiture finissant toujours par être contestée, même dans les territoires les plus adaptés à l’automobile, le vélo finit toujours par en profiter, surtout avec l’essor des VAE, la montée des préoccupations pour la santé et le renouvellement des générations. Comme dans toute transition, on peut distinguer plusieurs phases dans la renaissance du vélo : émergence, décollage, croissance forte, ralentissement et stabilisation. Et à chaque fois les parties prenantes (càd tous les groupes d’acteurs impliqués) ont des attitudes qui évoluent fortement.
En phase d’émergence, les cyclistes luttent pour être admis sur la chaussée. Les autres usagers les ignorent et souvent les méprisent. Les autorités considèrent même que si les cyclistes ont quelques problèmes, c’est tout simplement de leur faute.
En phase de décollage, les cyclistes s’organisent et élaborent des revendications. Les piétons surpris par ces nouveaux usagers furtifs et silencieux expriment une forte hostilité. Certains automobilistes invectivent les cyclistes. Les sociétés de transport public refusent toute concession, comme la circulation des cyclistes dans les couloirs de bus ou le transport des vélos dans les rames. Les autorités assistent aux conflits et proposent des mesures symboliques : des arceaux sur le trottoir, l’ouverture de quelques couloirs de bus, des aménagements cyclables quand cela ne dérange personne, une petite subvention à l’association.
En phase de croissance forte, les organisations de cyclistes ne se contentent plus de revendiquer et proposent aussi des services : auto-réparation, location de vélos, broc-à-vélos… Les conflits avec les piétons tendent à s’apaiser. Certains automobilistes s’organisent pour contrer les mesures favorables aux cyclistes, d’autres s’assagissent. Les sociétés de transports publics comprennent l’intérêt d’encourager l’intermodalité. Et les autorités s’engagent dans une poli-tique de ville cyclable en s’efforçant de reconstituer un système vélo. Certains aménagements remettent en cause l’hégémonie de la voiture : des arceaux sur des places de stationnement voiture ou des aménagements cyclables à la place de files de circulation auto. Des efforts d’investissement sont consentis pour le traitement des coupures, la création de vélostations, une subvention correcte à l’association rémunérant son expertise d’usage.
En phase de ralentissement et de stabilisation à un haut niveau de pratique, la situation se normalise : cyclistes, piétons et automobilistes cohabitent plus volontiers. Les sociétés de transport public systématisent les B+R (bike and ride) au détriment des P+R (park and ride). Les autorités prennent la pleine mesure de tous les avantages du vélo pour les individus comme pour la collectivité et mènent une politique intensive en sa faveur.
Dans toutes les phases, les associations de cyclistes urbains ont un rôle clé d’accélérateur de la renaissance du vélo.
Comme c’est curieux les silences de M. Heran sur l’attitude de la FUB à l’égard des ateliers-vélo lorsqu’ils ont débuté, ateliers-vélo qui ont stoppé net la chute du vélo partout où ils ont été créés et permis sa reprise fulgurante. La FUB prétendait que les ateliers-vélo mettaient mal à l’aise les commerces, qui étaient tellement mal en point qu’on voit bien que le commerce n’a rien de militant et pertinent dans les politiques cyclables. Pourquoi ce silence ? Et pourquoi parler si peu des ateliers-vélo, qui comptent bien plus d’adhérent.es que toute la FUB réunie ? Peut-être à cause de la partialité de M. Heran et de son appartenance à la FUB…
Bonjour Theron,
La moindre des choses lorsque l’on souhaite initier une controverse est de donner son nom! Je ne connais pas suffisamment la FUB pour savoir à quoi vous faites références en disant “La FUB prétendait que les ateliers-vélo mettaient mal à l’aise les commerces, qui étaient tellement mal en point qu’on voit bien que le commerce n’a rien de militant et pertinent dans les politiques cyclables.” aussi je serais heureux d’avoir une source ou un peu plus de contexte.
Dans l’espoir de vous lire,
Joseph D’halluin — FUB
Bonjour,
Pourquoi opposer FUB et ateliers vélos ? Depuis 20 ans, je n’appartiens à aucune de ses deux structures, sinon de temps en temps comme adhérent de base, inactif, à l’une ou l’autre association adhérente. Je laisse donc la FUB ré-pondre à vos remarques la concernant.
Sur le lien entre pratique du vélo et ateliers vélos, la réalité est plus complexe que vous le dites. La pratique du vélo est remontée dans le centre des grandes villes bien avant l’arrivée des ateliers vélos qui est assez récente (il y en avait 6 en 2005, 30 en 2009, 230 en 2017). En revanche, les ateliers vélos ont un rôle crucial dans les quartiers populaires où ils contribuent à redorer fortement l’image du vélo. J’en ai déjà visité plusieurs et une de mes prochaines chroniques pour Vélocité y sera consacrée (après bien d’autres de mes travaux qui évoquent déjà les “ateliers vélos participatifs et soli-daires”, dont mon bouquin, p. 213–214).
Frédéric Héran
c’est un vrai problème, il faut toujours que quand les choses bougent un peu, on renvoie à des querelles historiques! n’y a t il pas d’autres motifs d’investissement pour faire avancer notre mode de déplacement préféré
chez nous l’association vélo a été parti prenante de la création vélo, adhérent de la FUB et de l’Heureux cyclage, et chacun avance avec son projet, convergent vers une place pour le vélo en ville.
Je crois que les ateliers vélo existent aussi car il y a eu des associations de promotion du vélo, et qu’ils permettent de d’ajouter à la revendication légitime l’action concrète comme les vélos écoles.
mais il serait bien de sortir de ces querelles de cour d’école justement.