Décryptage
Plan vélo : une avancée incontestable qui doit marquer le début d’une politique sérieuse
Lors d’un déplacement exceptionnel à Angers vendredi 14 septembre, le Premier ministre Edouard Philippe, accompagné du ministre de la Transition écologique et solidaire François de Rugy, et de la ministre des Transports Elisabeth Borne, a dévoilé les grandes lignes du plan vélo très attendu par les ONG, les collectivités, les entreprises et la société civile. Promis le 13 décembre 2017 par Elisabeth Borne en clôture des Assises de la mobilité et confirmé au congrès de la FUB en mars dernier, ce plan vélo avait en effet été maintes fois repoussé, suscitant des craintes sur son ambition.
Trois chiffres qui peuvent tout changer
• Passer d’une part modale vélo de 3 % à 9 % d’ici 2024
• Un fonds de 350 M € sur sept ans pour aider les collectivités à assurer les continuités cyclables sur les points difficiles
• Un plafond annuel de 400 € en franchise d’impôt et de cotisations sociales pour l’IKV, qui devient une indemnité forfaitaire mobilité durable
Les mesures annoncées fixent un cap important
Le plan vélo comprend quatre axes : la sécurité et la résorption de coupures urbaines, la lutte contre le vol, les incitations financières, et le développement d’une culture vélo. L’Etat se donne ainsi pour la première fois les moyens de viser un cap : le triplement de la part modale du vélo d’ici 2024, afin d’atteindre 9 % des déplacements.
Il s’agit d’une mobilisation sans précédent du Gouvernement qui témoigne de sa volonté de positionner le vélo comme mode de transport privilégié. De nombreux ministères sont impliqués directement dans sa réalisation : ministère de l’Intérieur, ministère de la Transition écologique et solidaire (dont le ministère des Transports), ministère de la Cohésion des territoires, ministère des Solidarités et de la Santé, ministère du Travail, ministère de l’Education nationale, ministère de l’Action et des Comptes publics, ministère de l’Economie et des Finances, ministère des Sports…
Si le montant du fonds vélo est très inférieur à la proposition de la FUB, il faut noter que c’est la première fois qu’un plan vélo finance sérieusement les aménagements cyclables.
Sécurité : continuités cyclables et autres améliorations
L’Etat souhaite mettre l’accent sur la sécurisation des itinéraires cyclables et le renforcement des mesures de sécurité routière en faveur des cyclistes, notamment grâce à la création d’un fonds national « mobilités actives » d’un montant de 350 millions d’euros sur sept ans afin de soutenir les projets de création de réseaux de pistes cyclables, en particulier en ciblant les discontinuités d’itinéraires. A ce titre, est lancé dès aujourd’hui un appel à projets de l’ADEME (voir encadré) pour aider les collectivités de taille moyenne à solliciter le fonds national « mobilités actives » dès 2019.
De plus, la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) pourra être utilisée par les collectivités dans le cadre de la transformation des territoires : 500 M d’euros sont réservés sur le quinquennat pour les enjeux de mobilité.
Enfin, en assouplissant la définition de la « voie verte » afin de faciliter la cohabitation des usages avec les véhicules d’exploitation des gestionnaires du domaine public (VNF, ONF), de nouvelles voies vertes pourront être créées et le maillage du territoire sera amélioré.
Les dix dernières années ont par ailleurs déjà été marquées par des évolutions du Code de la route en faveur des mobilités actives. Le plan vélo poursuit cette dynamique avec des nouvelles mesures annoncées :
- Amélioration de la visibilité aux passages piétons. Seuls des emplacements de stationnement réservés aux vélos seront autorisés 5 m en amont des passages piétons. Cette mesure était déjà annoncée au Comité interministériel à la sécurité routière (CISR) du 9 janvier 2018.
- Généralisation de sas vélo aux feux.
- Généralisation des doubles sens cyclables sur les rues limitées à 50 km/h. Cette mesure est très attendue des cyclistes, à coupler avec une communication sur l’intérêt des doubles sens cyclables.
- Autorisation pour les cyclistes de porter des dispositifs d’éclairage non éblouissants. Il s’agit en réalité de l’application d’une mesure du Comité interministériel à la sécurité routière (CISR) du 2 octobre 2015.
- Circulation en zones de circulation apaisée. Les cyclistes pourront y rouler à deux de front sans être dans l’obligation de se rabattre quand un véhicule souhaite les dépasser.
- Prescription pour les poids lourds d’équipements spécifiques de détection et d’avertissement de la présence d’usagers vulnérables.
Certaines revendications de la FUB, comme l’autorisation de considérer un panneau stop comme un « cédez le passage », n’ont pas été retenues à ce stade.
Sûreté : Mieux lutter contre le vol
La peur du vol de vélos est un des freins principaux à l’usage du vélo comme mode de déplacement quotidien ; en effet, chaque année, plus de 300 000 ménages sont victimes d’un vol de vélo.
En ce sens, le plan vélo prévoit la mise en place d’un plan global de lutte contre le vol et le recel de vélos grâce notamment à la généralisation du marquage des vélos neufs (12 mois après la promulgation de la loi), et par la suite des vélos d’occasion vendus par des professionnels (24 mois après la promulgation de la loi). Ce dispositif sera ensuite porté au niveau européen. Ce plan permettra de donner accès à tous les personnels de police et de gendarmerie aux fichiers d’enregistrement des vélos, à des fins de restitution après un vol.
La peur du vol de vélo nécessite également des actions préventives, grâce à des infrastructures sécurisées dédiées au stationnement, notamment aux abords des gares et des pôles d’échanges. Ainsi, la future loi d’orientation des mobilités proposera de fixer à la SNCF des objectifs à atteindre d’ici 2024 en matière de stationnement sécurisé.
Par ailleurs, l’obligation d’aménagement d’infrastructures pour le stationnement vélo sera prescrite également lors de travaux sur des bâtiments existants disposant de parc de stationnement automobile.
Enfin, suite à la première expérience menée par la FUB avec son programme ALVEOLE, il sera possible de mobiliser des Certificats d’Economie d’Energie (CEE) via des programmes permettant de soutenir la mise en place de stationnements sécurisés dans les établissements scolaires, universitaires, à proximité des gares ferroviaires et routières, etc..
Des incitations financières à l’usage du vélo au quotidien
L’indemnité kilométrique vélo, créée en 2015 dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTE), n’a pas rencontré le succès escompté, puisqu’elle est restée facultative, et que peu d’employeurs ont décidé de la mettre en place.
A cet égard, le plan vélo prévoit la création d’un forfait mobilité durable accessible à tous les salariés, fonctionnaires compris, sur une base forfaitaire de 400 €/an en franchise d’impôt et de cotisations sociales (200 Ä/an pour les agents de l’Etat, mis en place à partir de 2020). Si elle reste facultative pour l’employeur, l’Etat s’engage à travailler avec les partenaires sociaux afin de permettre sa généralisation.
Par ailleurs, le vélo est introduit dans le barème fiscal, ce qui met enfin fin à une inégalité entre les modes de transport et simplifie le remboursement des déplacements professionnels effectués avec un vélo personnel.
Enfin, l’Etat s’engage à soutenir l’achat de vélos à assistance électrique via un dispositif de Certificats d’Economie d’Energie, et encourage la mise à disposition de flottes de vélos par les entreprises (la location d’une flotte de vélos donne lieu à une réduction fiscale, au même titre que l’achat d’une flotte de vélos).
Développement d’une culture vélo
La FUB en avait fait une de ses trois priorités : plutôt que d’attendre que le changement sociétal arrive, il faut le provoquer, en touchant tous les publics, notamment les plus jeunes.
Plusieurs actions seront mises en place dès le plus jeune âge, avec notamment un apprentissage systématisé de la mobilité à vélo avant l’entrée au collège et la généralisation du « Savoir rouler » qui existe déjà dans certaines académies. Piloté par le ministère des Sports, le développement de cette mesure doit pleinement associer le ministère de l’Education nationale pour que la généralisation de la mesure, positivement annoncée pour 2022, soit effective.
L’Etat soutiendra par ailleurs la construction et le déploiement de plans de mobilité scolaire en 2019, afin de favoriser l‘autonomie des élèves pour accéder à leurs lieux de scolarisation.
Le développement de l’activité physique adaptée, dont l’usage des mobilités actives, pour des problèmes de santé, sera également poursuivi, dans l’optique de la mise en place d’une stratégie sport santé. Si la plupart des médecins encouragent déjà l’usage de la marche et du vélo, il s’agit d’accompagner les patients à passer véritablement à l’acte.
Enfin, l’inclusion de nouvelles mobilités sera facilitée : la loi d’orientation des mobilités donnera les outils nécessaires aux collectivités pour encadrer l’implantation de nouveaux services sur les voiries publiques, tels que les vélos en free floating, qui posent de nombreux problèmes. La loi rendra aussi accessible aux fournisseurs de services d’information les données décrivant les réseaux cyclables, les données de disponibilité en temps réel des vélos en libre-service avec ou sans stations d’attache, ainsi que les données relatives aux services de location et les stationnements dans les gares et pôles d’échanges, afin de favoriser un maximum l’intermodalité.
Un article à lire aussi dans Vélocité n°147 — septembre-octobre 2018, une publication de la FUB.
Pour la FUB, le début d’une transition cyclable
La FUB remercie les militants de ses associations adhérentes, les élus locaux, les députés et ses partenaires partout en France qui se sont mobilisés fortement depuis plus d’un an pour obtenir un plan vélo « sincère et financé ». En tractant pendant le Baromètre (113 000 réponses obtenues), en contribuant en ligne sur le site des Assises de la mobilité, en envoyant massivement des cartes postales (100 000 cartes envoyées), le réseau FUB a démontré que le vélo était une préoccupation citoyenne majeure.
L’annonce du plan vélo n’est pas une fin en soi, mais uniquement le début d’une démarche nationale en vue de créer un « système vélo ». La FUB attend désormais de l’Etat qu’il impulse une dynamique associant les collectivités locales, les employeurs, les entreprises de la filière vélo et la société civile. Son exemplarité — sans laquelle il ne serait pas crédible — et son rôle d’animation seront des facteurs essentiels pour atteindre les objectifs, qui sont ambitieux, mais tenables. Plus que jamais, la FUB s’engage à rester mobilisée et gardera un oeil exigeant sur le contenu de la loi sur les mobilités et les détails de mise en œuvre. Elle incite les collectivités à travailler avec son réseau sur la réponse à l’appel à projets « Vélo et territoires » pour que la transition cyclable devienne rapidement une réalité.
Une étape parmi d’autres
Il y a eu des étapes avant le plan vélo – Assises de la mobilité, rapport du COI, enquête « Parlons vélo », envoi de cartes postales… — il y aura d’autres étapes après l’annonce du 14 septembre.
Les dispositions proposées par le Gouvernement dans le plan vélo seront incluses dans la loi d’orientation des mobilités. Loi qui fera bien sûr l’objet de débats parlementaires, amendements, navettes entre les deux assemblées, puis arbitrages. Sans oublier les interférences possibles avec la loi de finances 2019.
Et après la promulgation de la loi, il faudra attendre les décrets d’application, parfois longs à venir, et pouvant réserver quelques surprises, bonnes ou mauvaises.
Au terme de ce long processus, on ne retrouvera donc pas forcément à l’identique les termes du plan vélo tel que présenté par le Premier ministre.