Décryptage
Train + vélo en Normandie : les cyclistes oscillent entre colère et inquiétude
Les cyclistes sont très attachés à l’intermodalité train + vélo et notamment la possibilité de voyager avec celui-ci non démonté, sans réservation et gratuitement. Cette combinaison est pourtant menacée en Normandie suite à la disparition des rames Corail.
Nombreux sont les cyclistes qui, quotidiennement, mettent leur vélo dans le train pour poursuivre leur trajet domicile-travail là où les transports en commun sont inexistants ou inadaptés. Cet usage existe vers l’Île-de-France mais surtout en cabotage interne à la région. Par ailleurs, les touristes à vélo qui visitent la Normandie en empruntant les nombreuses véloroutes et voies vertes (Euro Vélo 4, la « VéloFrancette », la « Véloscenie », la future « Seine à Vélo »…) sont fortement demandeurs de trains adaptés et d’une capacité suffisante. Ils sont gâtés pour l’instant, car les bonnes vieilles rames Corail modernisées en 2007 par la Région Basse-Normandie et la SNCF comportent jusqu’à 18 emplacements par train ! La logique voudrait qu’un tel service perdure, notamment vers Deauville et le littoral de la Côte Fleurie où la pression automobile est très forte les week-ends et en saison estivale, avec des automobilistes régulièrement englués dans les bouchons.
Une capacité divisée par six
La Région Normandie reprend la compétence des trains Intercités qui sera abandonnée par l’État dès 2020. Le matériel commandé auprès du constructeur Bombardier pour remplacer les voitures Corail à bout de souffle circulant sur les lignes Paris / Rouen / Le Havre et Paris / Caen / Cherbourg va-t-il répondre à la demande des usagers cyclistes quotidiens, et des touristes notamment étrangers ?
La réponse est non, car les Omneo Premium normands ne comporteront que… trois places vélos par rame ! On diminue par six la capacité d’embarquement des vélos à bord des trains entre Paris et la Normandie ! Nous nous sommes enquis avec inquiétude du maintien de la gratuité pour ce service et avons découvert avec stupeur que la place dévolue aux vélos allait représenter une portion congrue… On pense que l’écologie avance et que certains choix sont évidents, la preuve que non : les associations doivent toujours rester sur leurs gardes !
A contre-courant de l’Europe
Inutile d’être voyant pour imaginer les conflits à venir avec le personnel, les touristes qui resteront à quai faute de place. Un des membres d’une famille de quatre personnes devra tirer à la courte paille pour savoir qui reste à quai ! Cette décision est incompréhensible pour une région qui mise sur le développement du tourisme à vélo. Il y a fort à parier que les Franciliens voulant s’évader un week-end en train + vélo privilégieront les Hauts de France ou la Vallée de la Loire, grâce à du matériel à la hauteur des ambitions cyclables de ces territoires.
En effet, la décision de cette faible capacité vélo a été prise non pas par la SNCF ou Bombardier, mais par les élus du Conseil régional de Normandie. Il était pourtant possible de demander au constructeur de prévoir davantage d’emplacements : le même matériel en Centre Val de Loire offrira ainsi neuf places vélos par rame, et chez nos voisins des Hauts de France du même bord politique que la Normandie 12 places ! Ce choix regrettable va à contre courant du vote par le Parlement européen le 15 novembre 2018 d’un amendement spécifiant que tous les trains neufs et rénovés devront disposer de huit emplacements pour les vélos. Et on l’espère bientôt du Parlement français.
Un rassemblement en gare de Caen
Les associations cyclistes ne pouvaient pas rester inactives face à ce recul sans précédant pour le train + vélo. Ainsi, 13 associations du réseau FUB(1) se sont regroupées pour organiser un rassemblement le 23 février dernier en gare SNCF de Caen, afin d’aller porter collectivement un courrier co-signé au président de la Région Hervé Morin, par ailleurs président de l’Association des Régions de France. Nous lui demandons solennellement d’intervenir en urgence auprès du constructeur afin d’augmenter la capacité vélo à huit emplacements. Une cinquantaine de cyclistes, avec des délégations venues en train + vélo de Paris, Rouen, Bayeux… sont dans la rue. Dans la démarche, les associations ont reçu le soutien appréciable de la députée européenne et présidente de la commission Transports au Parlement européen Karima Delli, qui s’est déplacée spécialement à Caen pour participer à l’action. Deux députés du Calvados, Bertrand Bouyx et Fabrice Le Vigoureux, ont également adressé un message de soutien aux associations en demandant à la Région de revoir sa copie. La Présidente du groupe écologiste à la Région, Laëtitia Sanchez, est aussi intervenue en ce sens. La presse régionale et nationale a largement couvert cet événement, forçant la Région à sortir de son silence. Un précédent courrier de nos collègues rouennais de SABINE, tout comme les interpellations dans la presse locale par l’antenne Dérailleurs de Bayeux, étaient restés sans réponses.
Les associations n’ont pas été consultées
Pour sa défense et évoquant « une très mauvaise polémique », le vice-président en charge des transports de la Région, Jean-Baptiste Gastinne, invoque les résultats d’une consultation de 10 000 normands. Les espaces vélos arrivent en 7ème position des attentes en terme de confort, derrière la wi-fi ou les distributeurs de boissons, mais quand même cités, signalons-le, par 40 % des sondés. Nos associations n’ont pas été consultées sur ce choix, et c’est un reproche que nous formulons. Selon la Région, si le train + vélo est très utilisé en TER, ce n’est pas le cas pour les trains Intercités depuis et vers Paris Saint-Lazare. Les élus ne doivent pas prendre souvent le train, car la demande est forte tant des touristes, surtout en saison estivale, mais aussi des usagers quotidiens. Un voyageur qui veut se rendre par exemple de Caen à Bayeux en train avec son vélo ne va pas regarder si c’est un TER ou un Intercités, il prend le premier train utile ! Un sondage interne aux contrôleurs SNCF de Normandie a d’ailleurs révélé que dans près de 70 % des cas, plus de trois vélos sont recensés dans les trains Intercités… Le Conseil régional juge impossible d’augmenter la capacité vélo pour les rames déjà commandées, mais regardera à l’usage s’il est nécessaire de le faire…
Dix ans au moins en attendant mieux
Comme les usagers réguliers ou occasionnels ne vont pas prendre le risque de se faire verbaliser ou d’aller au conflit, la conclusion est déjà connue : les usagers du train + vélo en Normandie subiront pendant au minimum dix ans du matériel inadapté. Et le tourisme sera affecté, ce qui suscite officieusement des craintes de responsables vélos de Conseils départementaux normands. Enfin, dans le journal Paris Normandie du 16 mars, le vice-président affirme carrément que les trois places vélos constitueront un progrès par rapport à des rames qui en comportent zéro… On espère que l’élu fait référence uniquement aux rames grandes banlieue de type V2N qui ne disposent en effet pas de crochets vélos, mais pas des rames Corails normandes qui en sont toutes équipées…
La Région Normandie doit céder à moyen terme à la Région Grand Est ses TER 2N NG en service sur Paris-Rouen -Le Havre, matériel avec une grande capacité en vélos, pour racheter des rames de type Régio 2N. La commande n’est pas encore passée mais la grande vigilance des cyclistes s’imposera pour éviter un nouveau mauvais coup pour la transition et le tourisme écologique. Et que tout simplement la Normandie comble son retard, soit en conformité avec la loi et les attentes des cyclistes sur ce sujet !
(1) Dérailleurs (Caen), antenne Dérailleurs Bayeux (Bayeux), Sabine (Rouen), Asso V’Lô (Saint-Lô), La Petite Cyclote (Louviers), Association de préfiguration maison de l’écomobilité territoire Seine-Eure (Pont de l’Arche), FUB (Strasbourg), AF3V (Senlis), CycloTrans-Europe (Paris), MDB (Paris), Antenne VéloVersailles de l’association VeloVGP (Versailles), association cycliste de Sciences Po (Paris), Le Nez au Vent (Marolles-en-Brie).