Décryptage
Les vélorues vont conquérir les villes françaises, épisode 2 : quelles sont les fonctions et bénéfices d’une vélorue ?
Dans cette 2eme partie, Sébastien Marrec fait le tour d'horizon de la fonction d'une vélorue, ce qu'elle est, mais surtout ce qu'elle n'est pas : un aménagement cheap !
Les idées reçues sur les aménagements cyclables et plus généralement sur les espaces publics favorables au vélo sont légion, et la vélorue n’échappe pas à la règle, d’autant que les exemples sont encore très peu nombreux en France. Introduit par l’arrêté PAMA du 23 septembre 2015, c’est un aménagement qui reste mal connu, et lorsque par hasard il est évoqué lors d’un atelier ou une conférence, la définition est quasi systématiquement sommaire et réductrice. Le CEREMA compare ainsi la vélorue non pas à la fietsstraat néerlandaise qui a fait ses preuves, mais à la récente rue cyclable belge, introduite dans le Code de la route en 2001, en la résumant ainsi : “Le vélo se positionne au centre de la voie et ne peut être doublé par les voitures (dispositif pertinent pour des rues en double-sens cyclable pas trop large)”. L’aménagement tel qu’il est présenté se limite à un renforcement de la légitimité et de la visibilité du cycliste par du marquage, et non à une nouvelle typologie d’aménagement répondant à une fonction spécifique.
Il est utile de rappeler que la vélorue est d’abord un concept fonctionnel au sein d’un réseau efficace, sécurisé et cohérent et non pas seulement un outil de communication, un gadget destiné à pallier la faiblesse des aménagements existants. Il s’agit d’une voie qui forme une partie du réseau cyclable principal et doit être la plus inclusive possible, accueillir tous les types d’usagers du vélo — critère conditionné au sentiment de sécurité qu’offre la rue. En effet, les vélorues ne sont pas des rues destinées seulement à favoriser les cyclistes les plus assurés, les plus intrépides et les plus rapides, mais bien des usagers de tous les âges et de toutes les capacités (“all ages and abilities”, disent les Anglo-Saxons).
Le réseau cyclable structurant — celui destiné à accueillir les flux majeurs de vélos — coïncide souvent avec les principales voies de transit motorisé. Dans les villes disposant d’un centre et de quartiers anciens en particulier, les voies radiales remplissent fréquemment une fonction importante tant pour le trafic vélo que pour le trafic automobile. Dans deux cas principaux, un type spécifique d’aménagement cyclable entre en scène : la vélorue.
- Si une rue située sur un itinéraire cyclable principal ne peut accueillir de pistes cyclables et qu’il est possible de réduire ou de couper le trafic de transit (si ce n’est déjà le cas), la vélorue constitue la meilleure solution pour marquer la continuité cyclable ;
- ll peut arriver que les principales voies utilisées par les usagers du vélo ne coïncident pas avec les principales voies de trafic motorisé, parce que sur ces dernières la pratique du vélo n’y est est ni sûre ni attractive, et qu’elles peuvent entraîner détours et ralentissements incessants. Si c’est le cas, et qu’il s’avère inenvisageable pour telle ou telle raison de réduire le trafic de transit automobile sur une voie structurante et donc de faire des pistes cyclables, mieux vaut conforter l’itinéraire alternatif dans une rue secondaire, via une ou plusieurs vélorues.
Dans une vélorue, l’usager du vélo est avant tout l’usager principal, avant d’être un des usagers prioritaires
Le volume de trafic motorisé y est limité, et subordonné au volume de vélos en circulation, qui doit être au minimum le double du trafic motorisé. Cette proportion d’au moins 2 vélos pour 1 voiture est fondamentale. Comme une vélorue concerne nécessairement un itinéraire cyclable principal, la supériorité numérique du trafic vélo va en théorie de soi. Le trafic peut ainsi y être aussi massif que sur des aménagements cyclables en site propre. Cependant, mis à part la proportion de vélos très majoritaire, les aménageurs néerlandais estiment qu’un nombre élevé d’usagers du vélo dans l’absolu est également nécessaire pour statuer sur la transformation d’une rue en vélorue. Sans perdre de vue le contexte local, une vélorue est ainsi difficilement envisageable si le trafic vélo ne franchit pas le millier chaque jour de semaine, c’est-à-dire 100 à l’heure de pointe.
Une qualité supplémentaire accordée à la vélorue est la priorité aux cyclistes et à tous les véhicules empruntant la vélorue. Cette considération nous amène à la manière dont les vélorues sont le plus souvent, et abusivement, présentées en France : des “rues à priorité cyclable”. Le terme de “priorité” n’est souvent pas explicité, et il est souvent compris à la fois comme une interdiction faite aux automobilistes de doubler les cyclistes et comme l’avantage donné aux cyclistes de bénéficier de la priorité dans les carrefours par rapport aux véhicules venant des rues sécantes. Concernant le premier point, il s’avère que cette interdiction n’existe pas ni en Allemagne ni aux Pays-Bas, contrairement à la Belgique (où elle figure dans le Code de la route). En France, sans que le dispositif n’existe dans la réglementation, les villes qui ont expérimenté des vélorues insistent sur cette notion d’interdiction.
Concernant le deuxième point, le CEREMA rappelle à juste titre que la notion de priorité est valable uniquement aux intersections — mais évoque dans le même temps une “priorité relative” du vélo sur la voiture concernant les vélorues et encourage l’impossibilité de doubler pour les véhicules motorisés. Cependant, ce ne sont pas seulement les cyclistes qui ont la priorité, mais bien tous les véhicules qui peuvent emprunter la vélorue, donc les automobiles des riverains et les véhicules de livraison par exemple. De ce point de vue, la vélorue ne suit pas le traditionnel régime de priorité à droite des zones 30. Aux Pays-Bas, déroger à la priorité à droite dans des rues résidentielles n’est pas autorisée, mais le législateur fait une exception pour ce qui est considéré comme un itinéraire cyclable principal dans le règlement d’application de l’Administration des routes.
Quels sont les bénéfices d’une vélorue ?
Une vélorue s’apparente en fait à une large piste cyclable, mais sur une chaussée ouverte à un trafic motorisé résiduel. C’est un aménagement à part entière en faveur du vélo, structurant pour les déplacements des cyclistes (qui assure, autrement dit, une fonction de circulation de transit pour eux), et qui est partie intégrante d’un réseau cyclable. La vélorue permet de compléter, de mailler un réseau cyclable, et d’assurer une connexion de grande qualité. A ce titre, elle joue un rôle important pour l’intégration des usagers du vélo dans l’espace urbain.
Par rapport à une piste, une vélorue optimise un espace de chaussée et reste une voie accessible à tous. La vélorue occupe moins d’espace qu’une piste cyclable et offre l’avantage pour les Néerlandais d’améliorer son rapport coût/efficacité : elle n’est pas totalement fermée aux voitures, et les places de stationnement peuvent être conservées.
La vélorue apporte enfin une grande sécurité. La probabilité d’accidents impliquant un cycliste seul y est faible, puisque l’aménagement ne nécessite pas d’obstacles à la circulation des véhicules motorisés, et qu’il est plus facile de proposer et de maintenir une certaine largeur et une bonne régularité au niveau du revêtement. Par ailleurs, une vélorue traversant un quartier résidentiel donne un plus grand degré de sécurité en comparaison d’une piste cyclable séparée le long d’une chaussée dominée par le trafic motorisé, en particulier pour les plus sensibles et réticents à une atmosphère routière.
Comparaison avant/après de la rue Troelstralaan, à Utrecht (Pays-Bas), transformée en vélorue en 2014 (vidéo : Bicycle Dutch et billet à lire ici, traduit en français par Jeanne à vélo)
Ce que la vélorue n’est pas
Il paraît utile de rappeler aussi ce que la vélorue n’est pas, afin d’éviter toute méprise conceptuelle, ambiguïté ou définition simpliste à l’emporte-pièce. Les vélorues ne sont pas des rues uniquement réservées aux vélos : les aménagements strictement réservés aux vélos s’appellent des pistes cyclables. Les rues acceptent par définition une mixité d’usagers et d’usages et il n’existe d’ailleurs pas de vélorue qui soit totalement fermée aux véhicules motorisés, où que ce soit en Europe. Une circulation de desserte est permise.
Les vélorues ne sont pas non plus des aires piétonnes, bien sûr. En France, celles-ci, dans leur immense majorité, autorisent les cyclistes “à la condition de conserver l’allure du pas et de ne pas occasionner de gêne aux piétons” (art. R431-9 du Code de la route). Les aires piétonnes ne sont nullement adaptées à des itinéraires cyclables sûrs, confortables et susceptibles d’accueillir des flux importants d’usagers. La fréquentation de cyclistes est obligatoirement plus faible que la fréquentation piétonne, et se fait à vitesse réduite. Dès lors que le nombre de piétons devient élevé par rapport au profil et au potentiel d’accueil d’une rue, le partage de l’espace entre piétons et vélos n’est plus possible. Aux Pays-Bas, le Centre de réglementation et de recherche des routes (CROW) préconise de séparer les cheminements piétons et cyclables suivant des seuils calculés par heure et par mètre de largeur de voie.
Les vélorues ne sont pas simplement non plus des zones de modération de la circulation et de partage de la voirie, où les cyclistes sont censés ne pas être doublés et pacifier le trafic par leur présence. Ainsi, elles ne s’apparentent pas à des sortes de zones de rencontre ou de zones 30 “à la française” où les cyclistes seraient simplement mieux “pris en compte” — principalement par le fait qu’il serait interdit de les doubler. Dans des rues de toute façon étroites, le CEREMA semble oublier qu’il est réglementairement impossible de doubler puisqu’une voiture ne peut doubler un vélo en respectant le mètre de distance de dépassement. Ils semble également ne pas savoir non plus qu’aux Pays-Bas, il est autorisé de doubler dans une vélorue dès lors que la largeur est suffisante, évitant le stress du cycliste suivi de trop près par un ou plusieurs conducteurs impatients, et qu’il est même recommandé de prévoir cette largeur suffisante. C’est pourtant cette philosophie générale qui a conduit certaines villes françaises à mettre en place des vélorues, en réponse hâtive à un constat de plus en plus visible : les cyclistes n’évoluent quasi jamais dans de bonnes conditions de sécurité, y compris dans des zones dites apaisées, à cause de volumes de circulation motorisée trop importants, ou de priorités et de vitesses non respectées.
Si la vélorue relève bien de la catégorie des voies apaisées, elle s’en distingue par bien des aspects. La vélorue accueille d’abord une forte circulation de transit, en l’occurrence de vélos : elle a une fonction circulatoire affirmée. À l’heure de pointe, la densité de vélos peut y être très élevée. Cette fonction circulatoire a pour corollaire spatial une nette primauté donnée aux usagers du vélo sur la chaussée, et donc une distinction plus affirmée — en termes de matériaux et de teintes de revêtements — entre la partie piétonne et la chaussée, dominée par la circulation des vélos, que dans une zone de rencontre.