Décryptage
Le gouvernement néerlandais appelle à “chérir le vélo”. Voici cet amour représenté sous forme cartographique.
Le 11 décembre 2018, la première ministre Britannique Theresa May arrive pour un "petit-déjeuner Brexit" à La Haye dans une voiture de luxe blindée. Le premier ministre néerlandais Mark Rutte, lui, arrive à vélo.
Ce n’était pas un coup de com’. Le premier ministre néerlandais se rend régulièrement à des réunions à vélo. En 2017, il est aperçu en train de verrouiller son vélo devant le palais Noordeinde, avant d’aller à l’intérieur pour informer le roi Willem-Alexander de la formation d’un nouveau gouvernement.
Et ce gouvernement de coalition, comme d’autres avant lui, est résolument pro-vélo. En 2015, le gouvernement précédent et 23 parties prenantes développent le programme “Tour de Force”, dont l’objectif est d’augmenter la pratique du vélo comme moyen de transport de 20% entre 2017 et 2027.
En néerlandais, vélo se dit “fiets” et la campagne “Tour de Force” vise à augmenter le nombre de “fietsomètres” parcourus en “Fietsland”.
On peut ainsi lire dans l’introduction de Tour de Force que “nous devons notre subsistance en grande partie au vélo”.
“Le vélo permet à nos centres-villes de rester accessibles et vivables, il est le moyen de transport privilégié pour nombreux d’entre nous pour aller au travail, il apporte joie et relaxation, et est important dans nos campagnes, mais aussi pour aller à l’école, au travail, faire ses course, ou à l’arrêt de bus.”
La campagne gouvernementale explique encore: “Nous devons chérir le vélo. La part modale du vélo est déjà élevée avec un quart de tous les trajets. Et aujourd’hui encore, son utilisation augmente, surtout en zone urbaine.”
La carte en haut de cet article est un exemple très clair de l’engagement néerlandais envers le vélo, alors que les pays voisins sont bien moins fournis. Cette carte – montrant la densité de pistes cyclables dans cette partie de l’Europe – est une capture d’écran du site OpenCycleMap, et la différence entre les Pays-Bas et le Royaume-Uni parait énorme, ainsi que celle entre la Belgique et la France, qui partagent la même topographie de part et d’autre de la frontière, ainsi qu’en partie la même langue, mais dont les infrastructures cyclistes sont très différentes.
Il existe également des différences très marquées entre les deux “moitiés” de la Belgique, les Flandres flamandophones et la Wallonie francophone.
(La disponibilité de voies cyclables ne signifie pas systématiquement des meilleures conditions cyclables; par exemple, sur la carte il apparait que la Belgique a plus de voies cyclables que la France, mais cela ne signifie pas forcément que la Belgique est un meilleur pays pour le vélo que la France. De plus, toutes les voies cyclables en violet sur OpenCycleMap ne sont pas forcément des pistes cyclables séparées ou protégées par une bordure. Enfin, la densité de voies cyclables peut également être le reflet de la densité de population).
Rients Dijkstra, professeur de design urbain à l’université de technologie de Delft, explique: “Le vélo est un fabuleux produit d’exportation.”
Depuis 2012, Dijkstra est le conseiller officiel du gouvernement en matière d’infrastructures, ou encore Rijksadviseur Infrastructuur en Stad. Il ajoute:
“Quand nous renforçons la réputation internationale de Fietsland des Pays-Bas, les effets positifs sont nombreux. Cela donne au vélo un statut, ça promeut son utilisation, renforce l’image des villes néerlandaises comme étant des environnements avec une qualité de vie attractive à l’international et augmente le potentiel du savoir-faire cyclable comme produit d’exportation.”
Mais surtout, il insiste sur le fait que “le vélo est un symbole d’identité nationale.”
Recul des ventes
Malgré que le vélo soit un tel symbole d’identité néerlandaise et ses milliers de kilomètres de voies cyclables protégées, les ventes de vélo reculent depuis plusieurs années.
En 2016, 928 000 vélos ont été vendus aux Pays-Bas, soit une chute annuelle de 6%. En 2007, 1,4 millions de vélos avaient été vendus dans le pays. Ce recul des ventes a eu lieu malgré une augmentation de la population. Un communiqué de presse de l’association industrielle RAI qui, avec BOVAG et la société de recherche GfK mesure la vente et l’utilisation de voitures, vélos et autres moyens de transport aux Pays-Bas, a évoqué cette chute des ventes et cela a fait débat dans la presse néerlandaise.
“Cela fait 30 ans que [les Pays-Bas] n’ont pas vendu si peu de vélos neufs,” peut-on lire dans le rapport RAI/BOVAG/GfK.
Jan-Willem van Schaik, rédacteur en chef adjoint de la revue spécialisée Tweewieler, explique que le recul des ventes a été une surprise pour les médias néerlandais grand public, mais pas pour la presse spécialisée.
“Un déclin dix ans d’affilé n’est pas une bonne chose, même s’il existe des bonnes explications,” explique van Schaik.
“Tout d’abord, il y a eu la fin d’un régime de réductions fiscales qui avait aidé beaucoup de gens à acheter un vélo. Il a pris fin en janvier 2018. A son apogée, jusqu’à 500 000 vélos par an étaient vendus sous ce régime. Deuxièmement, les 1.4 millions d’unités vendues en 2007 ont constitué une année record. Il était évident à l’époque que le volume du marché allait commencer à diminuer. Troisièmement, l’augmentation du prix moyen d’un vélo ne s’explique pas uniquement par le vélo électrique, mais aussi par la meilleure qualité des vélos traditionnels – un vélo peut maintenant durer de nombreuses années.”
Il met également en cause le mauvais temps. L’été 2018 en Europe fut bien plus agréable, et de bien meilleurs résultats sont attendus pour l’industrie du vélo néerlandaise, en particulier en termes de valeur de ventes.
Si le volume baisse, le prix moyen d’un vélo – grâce aux VÉLO ÉLECTRIQUE – est élevé à 1 000€. Les VÉLO ÉLECTRIQUE représentent 30% du marché néerlandais, mais presque 60% de ses revenus. Une étude de marché portant sur 286 magasins de vélos néerlandais a établi que sur les dix premiers mois de 2018 le chiffre d’affaires moyen par magasin avait augmenté de 12.8%, en grande partie grâce aux prix élevé des VÉLO ÉLECTRIQUE.
Selon Schaik, si les ventes de vélo sont en baisse, son utilisation ne l’est pas :
“Les gens font du vélo plus souvent et font plus de kilomètres. Les parkings à vélo dans les gares débordent. Le nombre de personnes allant à la gare à vélo augmente d’environ 5% par an depuis 10 ans. L’avènement du vélo électrique encourage les gens à pédaler plus souvent et plus loin. Les personnes âgées font du vélo à un âge de plus en plus avancé.
L’augmentation de la pratique du vélo est également le résultat des infrastructures exceptionnelles des Pays-Bas. Augmenter la flotte de vélos n’est plus l’objectif, nous l’avons déjà fait par le passé. Les infrastructures cyclables néerlandaises n’entrainent pas une augmentation significative des ventes car tout le monde a déjà un vélo, voire même plusieurs. C’est un boom des ventes qui a eu lieu dans les années 80 and 90″.
Les Pays-Bas comptent 17 millions d’habitants et 22.5 millions de vélos, soit 1.3 vélos par tête, le taux le plus élevé au monde. 27% des trajets s’y font à vélo. (Aux Etats-Unis, ce chiffre est à peine au-dessus d’1%, et au Royaume-Uni le chiffre est stable à un peu plus de 2%.)
Le pouvoir de la pédale
Le ministère responsable de la campagne Tour de Force et du vélo en général est le ministère des infrastructures et de la gestion de l’eau, ou Rijkswaterstaat, fondé en 1798. Si les Chinois ont un regard sur l’histoire à long-terme, les bâtisseurs de la nation néerlandaise, eux, ont un regard sur l’infrastructure à long-terme.
Certains considèrent qu’une partie de la psyché nationale découle de la religion. Schématiquement parlant, la moitié nord des Pays-Bas (où vit la majorité de la population) est calviniste, une forme stricte et réputé frugale du protestantisme datant d’il y a 500 ans, et la moitié sud est catholique. (La croyance en Dieu n’est pas importante ici; c’est le bagage culturel qui compte.)
Selon une théorie particulière, le vélo plait aux calvinistes car c’est simple, sobre et surtout bon marché. Et comme les calvinistes néerlandais n’aiment pas l’ostentation – ni arriver à des réunions d’état en voiture blindée – le vélo leur convient parfaitement, surtout sur un de ces gros vélos néerlandais noirs parfaitement anonymes. Pédaler sur une telle machine est égalitaire et ne met pas en valeur le statut de la personne.
Si de nombreux néerlandais s’identifient à ces soi-disant “caractéristiques nationales”, et si en effet les calvinistes font plus de vélo que les catholiques, il faut néanmoins considérer ces explications avec une certaine prudence. De nombreux historiens néerlandais que le trope de la “nation prudente” est plus un mythe fondateur qu’une réalité. Et selon Ben Coates, auteur de Why the Dutch are Different (pourquoi les néerlandais sont-ils différents), les Pays-Bas n’ont jamais été un pays “où les employés fument des joints à leur bureau, vont voir une prostituée à midi et euthanasies leurs grands-parents le soir.”
Peut-être. Mais la popularité du vélo reste énorme aux Pays-Bas et il semble que la campagne Tour de Force continuera à rouler.
Article original par Carlton Reid en anglais : https://www.forbes.com/sites/carltonreid/2019/01/08/cherish-the-bicycle-says-dutch-government-and-heres-that-love-in-map-form
Traduit par Charles Dassonville.