La Tribune
Construire et vendre votre expertise d’usage
La connaissance pratique des cyclistes, leur expertise d’usage, est irremplaçable pour réussir une politique de ville cyclable. Une association capable de médiatiser cette expertise auprès des autorités peut réclamer pour cet exercice une subvention conséquente dans le cadre d’un partenariat bien compris où les rôles de chacun sont clairement fixés.
L’indispensable expertise des usagers
Imaginons que votre ville dispose d’une équipe de techniciens expérimentés, cyclistes quotidiens, experte dans toutes les techniques d’aménagement existantes, décrites dans les meilleurs manuels français et étrangers. Le rêve ! Eh bien, même dans ce cas idéal, il lui sera toujours impossible d’écha-fauder en permanence tous les projets nécessaires, d’accompagner toutes les évolutions en cours, de détecter tous les dysfonctionnements. Bien trop compliqué, beaucoup trop chronophage. L’équipe devrait être bien plus étoffée et passerait un temps considérable à identifier les besoins, à repérer toutes les solutions, à évaluer sans cesse les réalisations.
Par exemple, rien que pour assurer une qualité constante des aménagements cyclables, il lui faudrait sillonner le réseau tous les jours pour traquer les innombrables micro-problèmes : un nid de poule en formation, une bordure déplacée, un éclairage déficient, une peinture effacée, des débris de verre qui traînent, de la boue ramenée par une grosse pluie…, sans compter les problèmes plus graves nécessitant des investissements spécifiques : la traversée d’un carrefour mal traitée, un aménagement cyclable trop étroit, une chicane trop serrée, du stationnement illicite récurrent… En conséquence, cette équipe de choc, pourtant si compétente, cherchera logiquement à s’appuyer sur la connaissance intime du terrain qu’ont les cyclistes quotidiens, parce que cette armée de cyclistes sera toujours mille fois, dix mille fois plus nombreuse que la petite équipe des experts.
Cette connaissance pratique des usagers, cette expérience du quotidien, s’appelle l’« expertise d’usage ». Elle est fondamentale et irremplaçable, c’est un complément indispensable de l’expertise technique classique.
Un fort décalage entre usagers et techniciens
En pratique, la réalité est assez différente (euphémisme). L’équipe se réduit souvent à un seul technicien et pas toujours à plein temps, qui n’a parfois même pas l’habitude de rouler à vélo au quotidien et qui manque toujours cruellement de temps non seulement pour être sur le terrain, mais aussi et d’abord pour développer sa propre expertise professionnelle.
En revanche, les cyclistes urbains réunis dans l’association locale ne m’ont pas attendu pour comprendre qu’ils ont tous ensemble une compétence pratique formidable. De nombreuses associa-tions savent relayer les demandes des cyclistes en matière d’aménagements, suivre les projets ou utiliser des outils cartographiques numériques pour pointer les dysfonctionnements du réseau.
Et pour cela, elles se renseignent sur Internet, téléchargent les fiches du CEREMA, investissent parfois dans l’achat de documents de référence (manuels et autres guides), échangent entre elles des conseils via divers forums, profitent de la connaissance d’autres villes, y compris étrangères, qu’ont certains de leurs membres, et jusqu’à devenir, sur bien des aspects, plus calées que les techniciens eux-mêmes.
Malgré toute cette expertise acquise, souvent la politique de ville cyclable patine. L’élu en charge du dossier vélo transmet au technicien référent toutes ces « doléances ». Le service concerné promet alors d’y répondre, y répond mollement pendant un moment puis s’arrête, ou même les ignore superbement quand l’élu ne fait pas le poids ou n’a pas l’appui explicite du maire ou du président. Manifestement, il est difficile d’engager un dialogue permanent et constructif entre les techniciens et les usagers. Comment l’expliquer et comment y remédier ?
Expertise d’usage ou professionnelle : chacun son rôle
Bien sûr, cette mauvaise volonté apparente peut résulter d’un manque de volonté politique ou d’incompétence des techniciens. Mais il faut aussi envisager un autre élément d’explication : la confusion des rôles. C’est qu’en effet, l’association n’est pas là pour dire aux techniciens ce qu’ils ont à faire. Elle n’a pas à se substituer à eux dans la recherche de solutions. Elle n’est là que pour faire des propositions et donner son avis et non pour décider. Les techniciens ont pour rôle d’établir des diagnostics, de documenter les diverses solutions possibles, de construire les projets (et notamment de dessiner les aménagements projetés), de mettre en œuvre la solution qui sera choisie. Et le rôle des élus est de décider, pleinement informés, de la solution retenue, puis d’assumer ensuite leur choix.
Dans le processus d’élaboration et de mise en œuvre d’une politique de ville cyclable, le rôle de l’association consiste à intervenir à trois moments(1). Avant : elle peut interpeller les élus et les techniciens sur les problèmes généraux à résoudre et les grandes réalisations manquantes à ses yeux, pour qu’ils les mettent à l’agenda. Pendant : elle peut accompagner la mise en œuvre, suivre de près la bonne exécution des travaux, en participant aux réunions de chantier. Après : elle peut contribuer à évaluer les aménagements, pointer les dysfonctionnements, communiquer sur les avancées réalisées.
Le rôle d’intermédiaire des associations entre les usagers et la collectivité
Une association n’est jamais complètement représentative de la grande diversité des usagers. Mais si elle en est bien consciente, elle peut néanmoins éviter quelques dérives. Ainsi, les « lièvres » sont souvent surreprésentés dans les associations de cyclistes urbains, aussi doivent-elles être attentives à ne pas oublier les « tortues » qui réclament des solutions plus protectrices.
Ce rôle de médiation est délicat et demande beaucoup de travail et de savoir-faire. Les propositions doivent d’abord être collectées et le plus souvent reformulées, car la plupart d’entre elles sont mal écrites, parfois redondantes, excessives ou trop elliptiques, voire fantaisistes. Un classement par thème est ensuite indispensable (aménagement, stationnement, services, communication…). Leur hiérarchi-sation est enfin souhaitable, selon leur coût présumé ou leur degré d’urgence. Transmettre toutes ces propositions aux autorités sans les retoucher, sous prétexte de ne pas froisser leurs auteurs, est contre-productif : les élus et les techniciens seraient rapidement submergés et incapables d’y répondre.
Une expertise d’usage de grande valeur
Si l’association est bien consciente qu’elle peut construire patiemment, avec méthode, une exper-tise d’usage de grande qualité, alors ce travail mérite d’être rémunéré à sa juste valeur. Elle peut dès lors proposer à la collectivité de signer une convention de partenariat qui précise clairement les rôles de chacun, et demander une subvention conséquente à la clé. Un tel cadre permet de s’engager peu à peu dans une relation de confiance et un respect mutuel. Pour autant, si des désaccords importants apparaissent, chacun doit pouvoir reprendre sa liberté.
Les bureaux d’études ont compris depuis longtemps la valeur de l’expertise d’usage. Quand ils sont sollicités par une collectivité locale pour réaliser un plan directeur vélo, ils demandent presque toujours à rencontrer l’association locale qui leur fournit généreusement tout ce qu’elle sait, dans l’espoir qu’enfin leurs doléances seront prises en compte. Ces connaissances enrichissent le rapport du bureau d’études à bon compte et c’est lui qui en retire tous les avantages pécuniaires.
Rares sont les associations de la FUB qui ont su monnayer leur expertise. L’exemple de loin le plus abouti concerne les multiples conventions signées dès 2003 par l’association Droit au vélo — ADAV, dont le siège est à Lille, et divers partenaires : la Métropole européenne de Lille, le Département du Nord, le Département du Pas-de-Calais, les agglomérations d’Arras, Dunkerque et Boulogne et des villes comme Villeneuve d’Ascq, Ronchin, Fourmies, Bailleul, Lens, Grande-Synthe, Saint-Laurent Blangy, Hazebrouck, Bruay-la-Buissière ou Béthune… (voir un exemple page suivante). Le poids de l’association (plus de 2 000 adhérents et 6 salariés), sa couverture géographique (principalement le Nord et le Pas de Calais, et l’ensemble des Hauts-de-France avec le Centre de ressources régional en écomobilité qu’elle anime) et son expérience accumulée portent aujourd’hui leurs fruits.
Notes
(1) Voir Sabrina Moretto, « L’expertise d’usage au défi de la concertation : quelles marges de manœuvre pour les usagers des transports ? », premières journées doctorales du GIS Participation du public, décision, démocratie participative, ENS-LSH, Lyon, 27–28 nov. 2009, 12 p. En ligne.
Les conventions de partenariat signées par l’association Droit au vélo
Pour plus d’efficacité et de suivi des actions entreprises, l’assemblée générale du 25 janvier 2003 a décidé de négocier des conventions de partenariat avec diverses institutions.
Cette concertation durable permet de favoriser l’implantation de nouveaux aménagements cyclables, d’améliorer la qualité de ceux existants et de développer l’usage du vélo. L’expertise de Droit au vélo est ainsi reconnue en termes d’aménagements et de politiques cyclables.
Nous avons aujourd’hui acquis une légitimité auprès des collectivités et de leurs services qui nous consultent très régulièrement. La collectivité peut s’appuyer sur un interlocuteur disponible, maîtrisant l’ensemble de la réglementation cyclable et des expériences françaises et étrangères, ayant une bonne connaissance du terrain, disposant de relais locaux et d’un regard transversal sur les projets des différentes institutions.
Droit au vélo conserve son rôle de « poil à gratter », propose des aménagements pragmatiques souvent différents des propositions stéréotypées.
Michel Anceau, directeur de l’ADAV
info@droitauvelo.org- — - — - — - — - — - — - — - — -
Extraits de la Convention de partenariat 2018–2020
Ville de Bruay-la-Buissière et association Droit au vélo — ADAVENTRE :
La Ville de Bruay-la-Buissière, représentée par M. Olivier Switaj, Maire de Bruay-la-Buissière en vertu d’une délibération du Conseil Municipal en date du 20 décembre 2017 ;
ET :
L’association régionale Droit au vélo — ADAV (…) et représentée par son Président en exercice, M. Yannick Paillard.
IL A ÉTÉ CONVENU CE QUI SUIT :
PRÉAMBULE
La Ville de Bruay-la-Buissière a pour compétence l’aménagement de l’espace urbain et de la mobilité urbaine. Elle souhaite développer une politique volontariste pour favoriser l’usage du vélo et promouvoir les modes actifs et les alternatives à l’utilisation de la voiture individuelle. (…)
L’ADAV est une association régionale très active pour la promotion de l’usage du vélo. (…) L’ADAV est adhérente à la FUB et à l’AF3V dont elle est la délégation régionale (…).
L’association regroupe plus de 2 000 adhérents à jour de leur cotisation et possède une antenne active sur le territoire de la Communauté d’agglomération (…)
Considérant que l’objet de I’ADAV, tel qu’il est défini à l’article 2 de ses statuts, est de promouvoir le vélo comme moyen de circulation privilégié, particulièrement en milieu urbain, et de manière générale, tous les modes de déplacements respectueux de l’environnement (…).
La Ville de Bruay-la-Buissière soutient I’ADAV pour ses activités qui contribuent à la réalisation de son objet.
ARTICLE 1 : OBJET DE LA CONVENTION
(…) L’Association s’engage à :
– participer activement aux réunions et réflexions organisées par la Ville de Bruay-la-Buissière pour la mise au point de sa politique cyclable et plus généralement de l’écomobilité. Cela comprend les réflexions pour développer un atelier d’aide à la réparation des vélos et la promotion de l’usage du vélo en milieu scolaire ;
– apporter son expertise d’usager reconnue pour développer le réseau cyclable (cela comprend les véloroutes et les voies vertes) en participant à des réunions de travail avec la Ville de Bruay-La-Buissière. Proposer des solutions d’aménagement à court, moyen et long terme ;
– contribuer à la promotion de l’usage du vélo et de l’écomobilité sur le territoire de la commune par sa participation à l’élaboration et à la conduite d’actions de communication et de sensibilisation en direction des usagers et du grand public en collaboration avec la Ville de Bruay-la-Buissière. Ces actions porteront principalement sur l’organisation ou la participation à des événements de promotion du vélo comme la Fête du vélo.
En contrepartie, la Ville de Bruay-la-Buissière s’engage à :
– considérer l’association comme un partenaire privilégié en l’associant étroitement à ses projets en faveur des cyclistes et de l’écomobilité et à instaurer des rencontres régulières avec ses services élaborant les projets afin notamment de développer une approche partagée ;
– apporter une contribution financière annuelle pour aider l’Association à mener à bien les actions décrites précédemment dans le cadre de son action générale et de celle du Centre ressource régional en écomobilité (Crem) qu’elle anime. (…)
ARTICLE 3 : DURÉE DE LA CONVENTION
La présente convention est conclue pour trois ans à compter de sa notification (…).
ARTICLE 4 : MONTANT DE LA CONTRIBUTION FINANCIERE ET CONDITIONS DE PAIEMENT
La Ville de Bruay-La-Buissière versera, à première demande, une contribution financière à l’Association d’un montant de 5 000 € par année. (…).
ARTICLE 5 : ÉVALUATION DE LA RÉALISATION DES ACTIONS
Les actions de promotion réalisées au cours de l’année seront définies conjointement et une réunion de bilan annuel sera organisée pour faire le point sur l’année écoulée, apporter le cas échéant les adaptations aux méthodes de travail, et définir conjointement les axes d’intervention prioritaires pour l’année à venir. (…)
Excellent article ! Les tenants et aboutissants des relations entre les parties concernées sont exposées de façon limpide. Et la ligne de conduite à tenir est tracée une fois pour toutes. A diffuser auprès de toute la communauté des cyclistes …