La Tribune
Le cycliste incivil et les militants du vélo
Un cycliste belge incivique renverse une petite fille et enflamme internet. Des défenseurs du vélo s’énervent contre l’indignation gigantesque que suscite le fait divers. Est-ce une bonne idée ? Probablement pas… Contre les « Oui mais les cyclistes », il faut raison garder.
Un cycliste belge incivique renverse une petite fille et enflamme internet. Des défenseurs du vélo s’énervent contre l’indignation gigantesque que suscite le fait divers. Est-ce une bonne idée ? Probablement pas… Contre les « Oui mais les cyclistes », il faut raison garder.
Un fait divers d’hiver
À la fin d’une année 2020 éprouvante, mais réjouissante pour ce qui est de l’usage du vélo, internet nous a offert une petite polémique bonus, une petite polémique comme seul internet sait les faire. La scène se déroule en Belgique, près de Liège. Une vidéo publiée le jour de Noël montre une famille en promenade sur une voie verte enneigée. Sur les images, on voit un coureur cycliste, casqué et vêtu de lycra, qui semble écarter d’un coup de genou la petite fille stationnée sur la voie avec sa mère, tandis que le père les filme. La petite fille tombe et le cycliste semble prendre la fuite. [NDLR : la déclaration de l’avocat du cycliste est à lire aussi pour les curieux.]
En quelques jours, la vidéo fait le tour des rédactions du web. On apprend par une pléthore d’articles que la famille a porté plainte contre le cycliste délinquant. Celui-ci aurait d’ailleurs eu l’outrecuidance d’appeler le père de famille pour lui demander de retirer la plainte, n’esquissant au téléphone que de maigres excuses. Le père, outré, n’a pas plié, et la police wallonne a lancé un avis de recherche contre l’individu.
Si vous avez raté la polémique, c’est que vous vous épargnez les réseaux sociaux et les mauvais sites d’actus : félicitations. Parce que pendant ce temps, des centaines d’internautes se sont écharpés sur le thème « c’est bien la preuve que les cyclistes sont des fous dangereux et asociaux ».
L’incivilité de certains cyclistes sert bien trop souvent d’argument fallacieux pour défendre le status quo automobilo-centré de nos villes. C’est le fameux « oui mais les cyclistes » … qui ne prouve pas grand-chose mais qui nous fait perdre beaucoup de temps. Dans le cas présent, toutes les conditions sont réunies pour que ça se passe mal : d’abord, on est sur une voie partagée entre vélo et piétons, ce qui est bien souvent le terreau de conflits d’usages délétères ; de plus, le cycliste est un cyclo-sportif, qui par nature veut aller vite… C’est déjà un miracle qu’il dispose d’une sonnette et l’utilise… Pour couronner le tout, il neige. Bref, un véritable scénario catastrophe.
Une indignation abusive ?
Mais, peut-être pire que le « oui mais les cyclistes », de très honorables défendeurs du vélo se sont aussi saisis de l’événement pour faire valoir le « deux poids deux mesures » qui règne sur la route. En effet, les incivilités des conducteurs d’automobiles ou de scooters sont, elles aussi, souvent filmées et mises en ligne, mais elles ne provoquent pas une telle indignation, et encore moins une mobilisation des forces de l’ordre pour en retrouver l’auteur. Nos honorables défendeurs du vélo n’ont pas tort, mais en s’indignant à leur tour, ils ont alimenté une polémique qui n’en demandait pas tant.
Certes le traitement de l’affaire est complètement disproportionné, certes il est hâtivement et abusivement récupéré par les ardents défenseurs du status quo automobile. Mais dans notre histoire, tout cela tend à nourrir une escalade de la tension dont rien ne peut sortir de bon. C’est le propre des réseaux sociaux. La petite fille a été poussée, elle est tombée, elle aurait pu se faire mal, les parents sont très en colère. Point. Internet se saisit du faits divers, les lecteurs s’identifient peut-être, c’est un état de fait… Dans cette histoire, si on veut réellement promouvoir une autre mobilité, il n’y a aucun commentaire à formuler et rien à minimiser.
Quelles leçons tirer de la polémique
En matière de « oui mais les cyclistes », la polémique ne sert à rien. Vous pouvez toujours tenter d’argumenter, chiffres à l’appui, à propos de l’accidentalité routière, il est peu probable que la raison l’emporte sur l’affect. Alors que faire ?
Tout d’abord, tout promoteur du vélo comme mode de déplacement n’est pas obligé de se sentir solidaire de n’importe quel abruti, aussi cycliste soit-il ou soit-elle. Il nous faut à tout prix éviter de tomber dans le piège de l’essentialisation abusive du « cycliste » — cela évite de se sentir agressé et un individu droit dans ses bottes est toujours plus apte à défendre une position raisonnable que quelqu’un qui s’énerve.
Ensuite, évidemment, il faut tâcher d’être exemplaire, et en particulier envers les usagers les plus vulnérables, à pied ou vélo. Oui, le vélo c’est peut-être un mode rapide et efficace, mais c’est aussi un mode convivial, civil, social. En attendant un réseau express qui permettent d’aller très vite, il n’est pas possible de se comporter comme un gougnafier [1]. Laisser passer les piétons aux passages piétons, sourire aux passants, dire « pardon, pardon », non seulement ça met tout le monde de bonne humeur, mais en plus, c’est une nécessité militante.
Autorisons-nous aussi à séparer le bon grain de l’ivraie. Oui, il y a des usagers du vélo incivils, dangereux pour eux-mêmes et les autres, et non, on ne trouve pas ça bien. Enfourcher un vélo ne revêt pas automatiquement le cycliste de toutes les vertus civiques. Pour autant, à l’échelle sociale, plus de vélos et moins de voitures, c’est moins de morts, moins de risques d’être renversés, moins de bruits, moins de pollution, plus de santé, plus de joie… vous connaissez la chanson. Alors, oui, il faut plus de vélo, même si ça veut dire, mécaniquement, plus de cyclistes incivils.
Et puis enfin, ne prenons pas les réseaux sociaux pour des espaces où il est possible de forger une pensée complexe et fine. Tout ce qui pourra être retenu contre vous le sera immanquablement. Minimiser une incivilité, malgré les arguments qui entourent vos propos, c’est une erreur de poids.
Moins de marasme, plus de militantisme
Dans la morosité ambiante, si les pro-vélo prenaient de (bonnes) résolutions? Moins poster de contenus exaspérants (même s’il faut un peu de colère pour nourrir la lutte), ne pas nourrir les trolls, et surtout, être enthousiasmant. Cela n’est pas toujours facile d’être positif à propos de nos expériences à vélo. Nous pouvons néanmoins donner envie à ceux qui se mettent au vélo de rejoindre le mouvement pro-vélo : ensemble, nous pouvons changer les territoires, nous pouvons lutter contre l’impérialisme automobile, nous pouvons rendre au vélo toute sa place.
[1] Si j’osais, je dirais « comme un conducteur de T-max » mais c’est une généralisation sans doute abusive…
Je partage l’avis de l’auteur. Je n’ai pas réagi sur cette polémique, et personnellement je ne milite pas “pour les cyclistes” mais plutôt “pour que tous ceux qui veulent se déplacer à vélo puissent le faire en sécurité”.
Et ce n’est pas pour rien que j’ai initié le #PiétonRoi 😉
Idem. Ce qui compte c’est l’énorme potentiel de développement de la pratique quotidienne du vélo.