Décryptage
Savoir rouler en CM2 : du rêve à la réalité
L’annonce du gouvernement d’introduire le « savoir rouler » à l’école primaire est séduisante. La FUB y a beaucoup poussé. Mais l’objectif est ambitieux et soulève bien de questions sur sa faisabilité. Quelles leçons peut-on tirer des expériences d’animations scolaires à vélo ? Focus sur des expériences en banlieue parisienne.
Nous avons participé à deux types d’animations depuis 2017 en Essonne :
- des sorties scolaires à vélo de classes entières de CM2 (25 à 30 élèves en général). Il s’agit de préparer toute une classe, pendant trois à cinq séances, à l’apprentissage de la conduite en groupe en ville, puis d’encadrer une grande sortie à vélo en fin d’année sur une journée.
- des activités périscolaires, en l’occurrence, les activités éducatives du mercredi (dans le cadre du passage à la semaine de 4 jours, depuis la rentrée 2018). Il s’agit d’animer des ateliers de trois heures avec un groupe de 12 à 15 enfants pendant six à huit séances, soit cinq groupes sur l’année.
Ce deuxième type d’animation permet d’aller plus loin vers l’apprentissage de la mobilité à vélo : groupes plus petits, plus de temps, initiation à l’entretien du vélo et à la lecture de carte… et pas seulement à la conduite en sécurité. Cependant, seuls les enfants volontaires y participent, contrairement aux premiers qui impliquent toute la classe.
Dans tous les cas, nous ne pouvions pas (et ne voulions pas) rouler uniquement sur des voies cyclables et des voies vertes : il s’agissait bien d’apprendre à se déplacer dans la ville telle qu’elle est, y compris lorsque cela implique d’emprunter des voies à fort trafic sans aménagement cyclable, comme à Massy et à Palaiseau en particulier.
Quels enseignements peut-on tirer de ces expériences ?
Une très forte motivation des enfants
Est-ce l’attrait de la nouveauté, de la découverte, de la liberté de se déplacer autrement que sur le siège arrière de la voiture ou du bus — voire même la fascination de l’interdit, puisque presque tous les parents ici interdisent à leurs enfants « d’aller sur la route » ? Toujours est-il que ces animations rencontrent un grand succès : dans le cas des ateliers éducatifs du mercredi, alors que les enfants ont le choix entre une dizaine d’activités sportives ou culturelles, entre le quart et la moitié des enfants voulaient s’inscrire à l’atelier vélo. A chaque fois, il a fallu faire un tri plus ou moins arbitraire, voire tirer au sort, pour se limiter au nombre maximum prévu pour l’atelier vélo (entre 13 et 16 suivant les cas).
Et les retours que nous avons eus sont vraiment motivants : pour ceux qui ne savaient pas faire de vélo, cela leur a permis d’apprendre et de faire leurs premières « grandes » balades. Et pour ceux qui savaient déjà, même si l’apprentissage de la discipline de groupe a parfois été difficile, découvrir leur ville à vélo et parfois la ville voisine, « au volant » de leur véhicule, des chemins et des lieux inconnus car inaccessibles en voiture, faire un grand tour en forêt en partant de l’école, c’est une aventure tout à fait nouvelle.
De fortes disparités à gérer
Un enseignement important à retenir est qu’il y a toujours une forte disparité de niveau. En classe de CM2, il y a presque toujours au moins un enfant qui ne sait pas faire de vélo, et parfois jusqu’à 6 ou 8 ; une partie a un faible niveau et une partie a de fortes habiletés, mais souvent ce ne sont pas les habiletés qu’on demande : dans nos quartiers de banlieue, savoir « vraiment » faire du vélo, c’est savoir rouler sur la roue arrière, faire des dérapages, lâcher les deux mains, rouler avec un pied sur la selle… toutes sortes de choses non seulement inutiles pour notre objectif, mais interdites. Dur pour les caïds !
Pour faire un travail de qualité, il est donc indispensable d’être au moins deux animateurs formés, même si il n’y a qu’une douzaine d’enfants. De plus, dès qu’il s’agit de sortir de la cour de l’école, il faut au minimum deux adultes encadrants agréés par l’Éducation nationale par groupe de 12. Donc un minimum de trois parents ou bénévoles en plus des éducateurs et de l’enseignant.
Enfin, il faut pouvoir fournir un vélo adapté à la plupart des enfants, et les stocker en sécurité (pas le moindre problème…) : en effet, dans nos quartiers, beaucoup d’enfants n’ont pas de vélo, ou un vélo trop petit ou inutilisable pour rouler en ville ; et quand ils en ont, il n’est pas toujours possible de les apporter à l’école…
Ces contraintes d’encadrement et de matériel donnent une idée de l’ampleur de l’ambition s’il s’agissait de réaliser cela pour tous les enfants de CM2…
Savoir rouler en groupe, un apprentissage spécifique
Au-delà des savoirs de base indispensables (freiner, tenir en équilibre, pédaler, suivre une trajectoire, regarder en arrière, conduire d’une main, indiquer ses changements de direction…) travaillés dans la cour de l’école, il s’agit surtout d’apprendre à rouler en groupe : maintenir une distance constante avec le vélo de devant (« le vélo invisible »), s’arrêter et redémarrer tous ensemble en écoutant les consignes, passer rapidement de la position « minibus » à la position « file indienne »… Toutes sortes de choses finalement assez difficiles même pour les cadors du vélo.
Le plus difficile est d’apprendre à respecter les autres et en particulier les plus faibles — ce qui en fait un objectif pédagogique bien au-delà du « savoir rouler » — car le vélo peut se révéler une arme dangereuse pour les autres. Que c’est dur de faire comprendre aux plus forts qu’ils doivent rouler à l’arrière au même rythme que les plus faibles placés devant, ralentir fortement quand l’un d’eux met le pied à terre inopinément ! Tout cela sans insultes, sans leur mettre la pression, et si possible même avec des encouragements…
A noter un petit miracle qui se produit souvent : les caïds insupportables dans la cour de l’école, ceux qu’on hésite à exclure, changent souvent radicalement de comportement — en bien — dès qu’on sort de l’école…
Lorsqu’on a atteint ces objectifs d’écoute, de discipline et de bienveillance, en plus de la maîtrise technique, on a vraiment gagné. On peut aller loin et faire des parcours intéressants. Les retours des enfants sont excellents : peut-être une future génération de cyclistes urbains ? A court terme, certains ont convaincu leurs parents de leur acheter un vélo ; et peut-être même leur ont donné l’envie ou l’idée pour eux aussi ?
L’objectif ultime : l’autonomie
Cependant, savoir rouler en groupe, ce n’est pas savoir se déplacer en autonomie. En groupe, il y a des difficultés spécifiques liées à la présence des autres vélos, mais ce sont les encadrants qui assurent la sécurité par rapport aux véhicules à moteur, prennent les décisions d’arrêt, de changements de direction…
Un réel apprentissage de l’autonomie à vélo nécessiterait une étape particulière : cela n’a pas de sens de prétendre qu’un enfant sait rouler en autonomie s’il ne l’a jamais expérimenté. On peut certes évaluer qu’il a a priori toutes les compétences pour le faire, mais il ne serait pas responsable de dire « maintenant, vas-y, débrouille-toi » et de laisser partir seul.
A ce niveau, les parents auraient un rôle déterminant à jouer. Mais combien de parents dans nos quartiers sont à l’aise pour se déplacer en ville à vélo et donner des consignes à leurs enfants ? Bien peu, sans parler des nombreuses mamans qui ne savent pas du tout et qui rêvent de pouvoir faire du vélo avec leurs enfants…
Cet objectif parait difficile, mais pas impossible, en s’inspirant des expériences de nos voisins. En particulier en Belgique, sous l’impulsion de l’association ProVélo : dans près d’une école sur deux, les enfants du primaire passent le « Brevet des cyclistes » avec une épreuve de conduite en autonomie en ville, sur un parcours imposé. Cela implique une forte préparation et la mobilisation d’un grand nombre de parents et/ou bénévoles d’associations pour surveiller et noter tout au long du parcours.
Pas impossible chez nous en France, même si on part de très bas. Y-a-t-il des expériences de conduite en autonomie dans des régions plus cyclables que la nôtre ? A suivre peut-être au prochain numéro.
Benoit Carrouée et Laurent Bonin
Educateurs mobilité à vélo, ProVélo91
Maryvonne Mateu
Membre de Dare-Dare, se Déplacer Autrement dans la Région d’Evry
José Le Moigne
Membre de MDB Massy