Dans la majorité des cas, les politiques publiques en matière de déplacements partent du principe que les choix des usagers des transports sont rationnels, cohérents et efficaces. Il paraîtrait ainsi rationnel, par exemple, de limiter la vitesse pour réduire les accidents ou de préférer les transports en commun ou les modes actifs, moins coûteux et préférables pour l’environnement, à la voiture individuelle.
Pourtant, ce modèle échoue à expliquer une part très significative des comportements humains en terme de mobilité qui peuvent sembler irrationnels. Ainsi, sur un trajet de un ou deux km, le vélo est certainement le moyen de transport le plus économique, le plus rapide, le meilleur pour la santé et pour lutter contre la pollution. Pourtant, seulement 3 % des usagers utilisent habituellement le vélo dans ce cas. On peut estimer que 97 % des usagers ont un comportement irrationnel. Force est de constater que des solutions qui paraissent objectives telles que des aménagements cyclables ou des incitations financières (IKV, achat d’un VAE) ne suffisent pas à modifier fondamentalement les comportements et la part modale du vélo.
L’émotionnel pour convaincre
Les leviers souvent employés en matière de circulation et qui semblent les plus évidents reposent sur les sanctions, les restrictions de circulation ou les obligations du code de la route. Pourtant ces mesures coercitives sont généralement mal acceptées, perçues comme privatives de liberté. L’usager peut s’y plier sous la contrainte mais n’est généralement pas convaincu de leur bien-fondé, ni incité de la sorte au report modal.
La persuasion, adoptée quand les cibles ont un intérêt personnel et la capacité de réfléchir face à un problème, implique un traitement en profondeur des arguments du message. Dans le cas contraire, un message émotionnel peut modifier le comportement s’il est accompagné de solutions perçues comme efficaces et réalisables.
L’intérêt personnel d’abord
Dans le domaine des choix de modes de transport, une modification comportementale résulte davantage de la perception d’un intérêt concret, immédiat et personnel plutôt que d’obligations sociales ou de valeurs environnementales pour protéger la planète. Mais l’obtention d’une identité sociale positive, reconnue par les autres, peut aussi encourager à changer les comportements de mobilité. Dans ce même registre de l’influence sociale, l’apprentissage par la présence d’un autrui ayant réalisé le changement de mobilité et matérialisant les avantages obtenus s’avère efficace.
Les normes sociales conditionnent le comportement dans l’espace public au moins autant que les normes institutionnelles du code de la route, et ce dès la petite enfance. L’enfant ne se contente pas de reproduire les comportements transmis. Il construit sa propre représentation des règles pour justifier ses propres comportements et expliquer ceux des autres.
Les démarches de type « Nudge » (coups de pouce) visent à orienter, sans contrainte ni incitation, vers des options prédéfinies par défaut, faciles à réaliser et qui pourront être reproduites. La simple mise à disposition de vélos en libre service ou le prêt de VAE sont ainsi des incitations positives.
Le subjectif plus fort que l’objectif
Les dispositifs visant à favoriser le report des déplacements vers les modes actifs reposent encore trop souvent sur le présupposé d’un individu rationnel, prenant des décisions en ayant analysé objectivement les coûts et bénéfices. Les recherches en psychologie sociale ont montré que la perception subjective de l’information est plus importante pour la prédiction des comportements que la perception objective. La psychologie sociale a permis de développer et de mesurer l’efficacité de nombre d’outils qui permettent de comprendre et d’agir sur le comportement et qui pourraient largement améliorer l’efficacité de ces dispositifs, voire d’en concevoir d’autres.
Psychologues à vélo
La Fédération Française des Psychologues et de Psychologie (FFPP), en partenariat avec l’European Federation of Psychologists ’ Association, diverses universités et l’IFSTTAR (laboratoire de psychologie des comportements et des mobilités) a organisé un colloque à Paris, les 4 et 5 octobre 2018, sur la psychologie des transports et de la mobilité.
A cette occasion, la FFPP a réalisé un panorama des psychologues et des études de psychologie réalisées en France sur ce sujet. 94 psychologues et 150 publications récentes ont ainsi été recensés, ce qui représente une proportion plus faible que dans d’autres pays européens, mais très significative quand même.
Certaines des méthodes ont été présentées parmi celles existantes. Elles pourraient être davantage mises en œuvre pour comprendre et favoriser le report modal vers le vélo. La FFPP et les personnes présentes se sont déclarées très favorables à un engagement plus fort sur ce sujet. J’ai observé qu’une proportion importante des psychologues présents étaient eux-mêmes des cyclistes.