Comment présenteriez-vous la genèse de la FUB ?
En 1970, j’étais pasteur à la Robertsau et une de mes paroissiennes avait été écrasée par un camion. C’était une véritable tragédie pour sa famille et ce n’était pas le premier drame à vélo dont j’étais témoin. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. A Strasbourg, avec d’autres, j’ai créé le CADR [Comité d’action deux-roues]. A une époque où les voitures étaient reines, nous voulions nous intéresser aux usagers du vélo. Notre stratégie ? Interpeller les autorités, en particulier dans les événements publics où le maire et les élus étaient présents avec les techniciens.
Le maire de Strasbourg de l’époque, c’était Pierre Pflimlin ?
Pflimlin n’avait pas le permis de conduire, on le voyait souvent à pied alors qu’il avait son chauffeur. Il n’était pas, contrairement à la majorité des hommes politiques de son époque, très favorable à la voiture. Je le croisais souvent et cela a permis des avancées rapides à Strasbourg. J’ai suggéré et participé à des voyages d’études pour les élus et les agents de la ville afin de les former à la mise en place d’aménagements cyclables comme en Hollande. J’ai obtenu les premiers doubles sens cyclables en 1982…
Et la FUB dans tout ça ?
En 1980, j’apprenais par un ami parisien que le ministère des Transports organisait une rencontre sur le vélo à laquelle je suis allé. Étaient présents Joël Le Theule, ministre des Transports, et Michel d’Ornano, ministre de l’Environnement. La réunion a été catastrophique, personne ne me connaissait donc on ne m’a pas donné la parole. Lorsque les ministres ont quitté la réunion, je me suis précipité à leur suite : « je viens de Strasbourg exprès pour vous, discutons de vélo ! ». C’est alors que j’ai appris de la bouche du ministre des Transports qu’il y avait une ligne budgétaire nationale dédiée pour le vélo. Le soir, en expliquant cela aux copains qui m’hébergeaient, j’ai réalisé qu’il fallait passer le mot – d’où la FUB.
Quelles étaient les autres associations pro-vélo de l’époque ? Comment les connaissiez-vous ?
Il y avait le CADR67, le MDB à Paris, mais il y avait aussi des groupes à Bordeaux, Lyon, Toulouse, Lille… A chaque fois que je prenais connaissance d’un mouvement pro-vélo dans une ville, j’allais les rencontrer directement, ou à défaut, je prenais des contacts par téléphone. Ce n’était pas vraiment dans l’idée de rassembler tout le monde, c’était plus par curiosité, pour voir s’ils avaient les mêmes difficultés que nous. C’était quand même une époque où on parlait des cyclistes comme « résiduels » — je l’ai vraiment entendu – c’est à dire qu’on allait tous finir par avoir une voiture. Je connaissais bien Jacques Essel, le fondateur du MDB, je dormais souvent chez lui. En 1980, une grande voiture rouge remplie de militants vélo est arrivée de Paris pour créer officiellement l’association Fédération française des usagers de la bicyclette, à Strasbourg. J’ai été élu président, ça a été le début d’une aventure sans accroc pour au moins 15 ans.
Quels étaient alors les chantiers de la Fubicy, le nom que vous donniez à la fédération ?
Plusieurs associations se sont créées à cette époque, elles venaient nous voir à Strasbourg. On les accompagnait dans leur création et leur développement. On a fondé le magazine Vélocité, pour faire la liaison entre les associations. Au début, les activités du CADR67 et de la Fubicy se confondaient beaucoup ! Chaque année, nous organisions une assemblée générale mais nous participions aussi à d’autres réunions partout en France. L’objectif de la Fubicy était également de travailler avec l’association des droits du piéton et avec la FNAUT [Fédération nationale des usagers des transports]. A l’époque, nous étions assez proches de la FFCT, les cyclotouristes. Ils nous accueillaient dans leur siège parisien – malgré certaines divergences de style, disons.
Quelles étaient les relations avec les fédérations nationales voisines lors de la création de la FUB ?
En 1980, l’ADFC embryonnaire, notre homologue allemande, a organisé une rencontre européenne, une forme de Velo-city, à Brême. C’est dans la foulée que je me suis lancé dans la création d’une fédération européenne. Les Allemands, les Néerlandais, les Anglais, avaient trop à faire dans leur propre pays pour se préoccuper de ça – c’est donc à mon initiative que nous avons organisé des réunions, avec des militants et des salariés de toute l’Europe. En 1982, l’ECF naissait et je suis resté vice-président pendant quelques années. Nous avons régulièrement organisé avec des parlementaires européens des réunions lors de sessions (APFOC) à Strasbourg.
Quelle a été la suite pour vous ?
Suite à un concours de circonstances assez étonnant, je suis devenu bénévolement chargé de mission interministériel vélo, de 1995 à 1998. J’ai laissé les clés de la FUB à Michel Hareng. Je suis redevenu président quelques années plus tard, la FUB s’était déjà bien développée.
Quel regard portez-vous sur le développement de la FUB, notamment ces dernières années ?
Je suis tout à fait enchanté ! On a, je crois, posé de bonnes bases. C’est merveilleux que le nombre d’associations augmente et que les financements suivent. Même si parfois, ça coince encore un peu, l’action menée par la FUB est tout à fait remarquable.
Et pour vous, la FUB dans 10 ans ?
J’espère d’abord qu’il y aura encore plus de cyclistes. Je pense que la FUB peut s’inspirer de nos voisins, l’ADFC [la fédération pro-vélo allemande] en particulier. J’espère également que nous continuerons à travailler en bonne intelligence, sans fusionner, avec les autres acteurs associatifs. Je pense en particulier au conflit d’usage entre piétons et cyclistes – il faut le désamorcer. Je rappelle souvent cette vérité : une association a vocation à mourir. Tant qu’elle se développe, c’est qu’il y a un problème. Il y a encore tant à faire. Sur les questions environnementales, c’est à hurler de mort. J’y ai toujours été sensible et il reste tant à faire. Il faut surtout être unis les uns les autres face à l’adversité criante. Quand on voit le pouvoir des puissances économiques, je suis effaré.
Jean Chaumien est un homme aux multiples visages. Etudiant en 68, il est ordonné pasteur en 1970, à Strasbourg. En parallèle de cette activité, il fonde et développe une association pour la réinsertion sociale, « Horizon Amitié », qu’il ne lâchera jamais, malgré son engagement pour le vélo.