Actuvélo

A Lunéville, on découvre le vélo grâce aux collégiens

On peut par­tir de pas grand chose, dans une petite ville qui ne fait pas beau­coup par­ler d’elle, et devenir en quelques mois exem­plaire suite à la ren­con­tre, au bon moment, entre une Com­mu­nauté de com­munes nova­trice et une asso­ci­a­tion ayant dévelop­pé des com­pé­tences dans l’initiation et le per­fec­tion­nement du « rouler en sécu­rité ».

Cette ville, à une demi-heure au sud-est de Nan­cy, c’est Lunéville. On par­lera plutôt de sa Com­mu­nauté de 43 com­munes, regroupant 40 000 habi­tants, sans laque­lle l’initiative n’aurait sans doute pas vu le jour. Jusqu’à l’an dernier il ne s’y pas­sait pas grand chose pour le vélo. « On avait l’impression qu’il y avait plutôt une régres­sion en matière de poli­tique cyclable de la ville », racon­te Joseph Jacobs, prési­dent de l’association VéloL­un’.

Un système d’ensemble à créer

Et puis les élus se sont ren­du compte que les abor­ds des étab­lisse­ments sco­laires étaient de plus en plus encom­brés par les voitures aux heures d’entrée et de sor­tie des class­es, que ça ne deve­nait pas seule­ment gênant, mais dan­gereux. La Com­mu­nauté de com­munes du ter­ri­toire de Lunéville à Bac­carat a donc sérieuse­ment pris les choses en mains. Pas pour ajouter quelques pistes cyclables, non, mais pour s’engager dans un sys­tème d’ensemble encour­ageant les déplace­ments à vélo.

« ça s’inscrivait dans un pro­jet beau­coup plus large, détaille Adrien Laroque, du ser­vice habi­tat et tran­si­tion énergé­tique de la col­lec­tiv­ité. En pen­sant la mobil­ité comme généra­teur de lien social, on a voulu une solu­tion de mobil­ité effi­cace, saine, économique. Et c’est aus­si un enjeu de développe­ment du ter­ri­toire. »

Le pro­jet a pris pour nom Vélo’s cool, et se décline en trois com­posantes : l’innovation, la for­ma­tion et l’amélioration du réseau cyclable. L’innovation, c’est une offre de ser­vice inédite : met­tre gra­tu­ite­ment à dis­po­si­tion des col­légiens et des lycéens des vélos haut de gamme, robustes, et qui plus est fab­riqués à Lunéville. Cette mise à dis­po­si­tion con­cerne les élèves habi­tant à moins de 3 km des col­lèges de Lunéville : ceci inclut trois com­munes lim­itro­phes. La ges­tion du ser­vice de vélos est con­fiée à une asso­ci­a­tion d’insertion.

Etre autonome sur la voie publique

Le deux­ième axe est celui de la for­ma­tion, qui con­cerne les élèves jeunes : offrir à l’ensemble des CM1, CM2, 6e et 5e un appren­tis­sage du vélo grâce à des for­ma­teurs diplômés, avec l’implication de l’association VéloL­un’. Avec le troisième axe, on retrou­ve la base de tout développe­ment du vélo : encour­ager la pra­tique par le ren­force­ment de la poli­tique cyclable et l’amélioration des infra­struc­tures dédiées.

Pour l’ensemble du pro­jet, c’est l’intercommunalité qui se charge de trou­ver les finance­ments, et de la mise en œuvre. Le marché pour les vélos a été attribué à la fin de l’année dernière, la remise des pre­miers vélos était prévue début juin. La ren­trée sco­laire de sep­tem­bre va bien sûr être le grand moment pour la mise en route. La for­ma­tion a déjà com­mencé, et don­né lieu le 29 avril à la délivrance des pre­miers « pass vélo’s cool », qui attes­tent de la capac­ité de l’élève à être autonome sur la voie publique, et du même coup à pou­voir recevoir le vélo attribué par la Com­mu­nauté de com­munes.

Le volet for­ma­tion a demandé un gros investisse­ment de la part de l’association VéloL­un’.

L’exigence d’une bonne formation

Le pro­jet Vélo’s cool a égale­ment pour objec­tif d’offrir à l’ensemble des élèves de CM1, CM2, 6e et 5e un appren­tis­sage du vélo grâce à des for­ma­teurs diplômés © J.M. Trotignon

« On est une toute petite équipe, pré­cise Joseph Jacobs. Il a fal­lu qu’on emploie un salarié, en emploi aidé, et un volon­taire en ser­vice civique. Et puis on a organ­isé à Noël une for­ma­tion d’Initiateurs mobil­ité à vélo. Notre salarié est par­ti en for­ma­tion CQP (Cer­ti­fi­cat de Qual­i­fi­ca­tion Pro­fes­sion­nelle Edu­ca­teur mobil­ité à vélo). Notre objec­tif a été de con­duire les élèves à un niveau de com­pé­tences leur per­me­t­tant de se con­fron­ter aux con­di­tions de cir­cu­la­tion de la ville. On a exigé que les élèves de 6e et 5e soient for­més, le pass étant le « cer­ti­fi­cat » qui leur per­met d’avoir le vélo délivré par la Com­mu­nauté de com­munes. En 6e et au CM2, ça arrive qu’on doive com­mencer par la draisi­enne : pour cer­tains, c’est un appren­tis­sage com­plet. Le prob­lème, c’est qu’au niveau du sec­ondaire on n’a pas pu inter­venir dans les étab­lisse­ments (quelques élèves à prélever dans chaque classe, d’où prob­lème d’emploi du temps), on a dû pro­pos­er de faire ça le mer­cre­di, le same­di après-midi, ou sur les temps de vacances. L’objectif n’est pas atteint parce qu’on n’a touché qu’une quar­an­taine d’élèves du sec­ondaire. La dif­fi­culté aus­si, c’est d’intervenir hors horaires oblig­a­toires. On a un pub­lic volatile. »

Plus facile en primaire

C’est plus facile au niveau du pri­maire, où les for­ma­teurs peu­vent inter­venir sur des class­es entières. Et avec d’excellentes sur­pris­es : « Ce sont par­fois les enfants qui appren­nent des choses à leurs par­ents : après avoir passé l’épreuve du Code de la route du cycliste en classe, ils peu­vent la refaire à la mai­son via un Quizz en ligne sur inter­net. Les par­ents étant sou­vent à côté d’eux, ce sont les enfants qui font décou­vrir à leurs par­ents des choses qu’ils ne con­nais­saient pas, comme par exem­ple qu’on peut chevauch­er une ligne blanche pour dou­bler un cycliste. »

Les deux col­lèges de Lunéville sont les points de con­ver­gence de l’opération, traçant dans le sil­lage de la jeunesse les itinéraires cyclables qui ont trop longtemps man­qué entre la ville cen­tre et sa périphérie. La Com­mu­nauté de com­munes a, quant à elle, créé une
« hot­line » d’assistance tech­nique sur les tra­jets fréquen­tés par les col­légiens pour répon­dre aux éventuelles pannes ou autres petits bobos (les vélos étant munis de pneus « increvables », une crevai­son serait excep­tion­nelle).

Et tout le monde s’y retrou­ve, aux heures de pointe mais pas que, puisque le vélo c’est la san­té ! … sans par­ler de la préser­va­tion de la planète.

 

Des résis­tances à vain­cre

Dans la région lil­loise, l’ADAV tra­vaille depuis longtemps au « savoir rouler », et son expéri­ence lui per­met aujourd’hui de voir les résis­tances sur lesquelles il va fal­loir tra­vailler pour arriv­er à la général­i­sa­tion. Des résis­tances qui peu­vent venir du corps enseignant lui-même, alors que l’association a pris la pré­cau­tion d’obtenir pour ses encad­rants bénév­oles l’agrément Edu­ca­tion nationale (par le biais de la FUB), en com­plé­ment de deux salariés qui ont suivi la for­ma­tion IMV (Ini­ti­a­teur mobil­ité à vélo).

Tout va bien tant qu’on reste dans la cour de l’école, mais c’est au moment de sor­tir sur la voie publique que ça coince : « Les profs sont tou­jours réti­cents à sor­tir avec leur class­es com­plètes, témoigne Julien Vitse, de l’ADAV. Et il y a le côté réti­cent du directeur à faire des sor­ties vélo. C’est le prof qui gère sa classe, mais c’est tou­jours le directeur qui décide. Il y a là une petite con­trainte encore à lever. »

L’un de ces moyens, c’est de jouer sur l’émulation entre étab­lisse­ments sco­laires, ce que l’ADAV pra­tique avec un « chal­lenge de l’écomobilité sco­laire », qui récom­pense l’école la mieux placée en ter­mes de déplace­ments alter­nat­ifs à la voiture.

 

La petite place du vélo dans la ville-cen­tre

Très engagée auprès des enfants pour le « savoir rouler », l’association locale se mon­tre très cri­tique sur ce qu’elle appelle les « pas en arrière » de la ville-cen­tre de Lunéville, qui con­traste avec l’orientation prise par la Com­mu­nauté de com­munes.

Pour l’association, en effet : « La com­mune de Lunéville n’adhère pas vrai­ment au dis­posi­tif : sa stratégie actuelle est de pass­er le max­i­mum de rues en zone 30 pour pou­voir éviter, voire sup­primer des amé­nage­ments cyclables. »

L’association doit se bat­tre pour obtenir que les ban­des cyclables soient de largeur cor­recte, et con­tre la forte ten­dance à pein­dre des logos vélo au sol en guise d’aménagements cyclables.

VéloL­un’ pointe aus­si « le refus de com­pren­dre le côté sécu­ri­taire des « cédez-le pas­sage cyclistes aux feux » et de tenir compte des expéri­ences pos­i­tives dans le reste de la France ». Alors sans atten­dre que les choses évolu­ent, elle organ­ise des man­i­fes­ta­tions en ville pour pos­er des pan­neaux de tourne-à-droite en car­ton plas­ti­fié… et invite le prési­dent de la FUB à un débat sur la place du vélo en ville.

Ren­dez-vous dans quelques mois pour faire un pre­mier bilan de cette expéri­ence !

 

Vers un savoir rouler gra­tu­it pour tous

Le con­seiller inter­min­istériel Edu­ca­tion nationale au Min­istère de l’Intérieur, Cyril Des­ouch­es, a con­fir­mé au cours de la journée d’études de la FUB que le « savoir rouler » était bien pro­gram­mé, avec comme objec­tif une général­i­sa­tion « à l’aube de l’année 2022 », et que cette for­ma­tion était bien gra­tu­ite pour tous les élèves, ce que demande la FUB au nom de l’égalité répub­li­caine. Cela dit, il recon­naît que sur « la ques­tion du finance­ment, on est en train d’en dis­cuter ». Deux moti­va­tions reti­en­nent par­ti­c­ulière­ment le con­seiller inter­min­istériel : le nom­bre d’accidents mor­tels en aug­men­ta­tion chez les cyclistes, et la pro­gres­sion de l’obésité. Il n’oublie pas pour autant les argu­ments plus posi­tifs, comme le « vivre ensem­ble et la citoyen­neté », dans un con­texte où « le but, c’est de per­me­t­tre à ces jeunes de pou­voir aller au col­lège à vélo ».

Avant la général­i­sa­tion, bien des ini­tia­tives font du « savoir rouler » un levi­er essen­tiel pour le développe­ment du vélo au quo­ti­di­en comme à Lunéville. Autre exem­ple à Rennes, où Syl­viane Rault, adjointe à la mobil­ité, met en avant l’apprentissage du vélo en milieu sco­laire avec la col­lab­o­ra­tion de l’association Roazhon mobil­i­ty, dont la vélo-école s’adresse aux adultes comme aux enfants, et aux entre­pris­es. Sur les deux dernières années, 18 écoles publiques et privées en ont béné­fi­cié, soit 35 class­es représen­tant au total 847 élèves. Rennes où la part modale du vélo est aujourd’hui de 3,7 %, mais avec une pro­gres­sion de 13 % chaque année, et où l’adjointe à la mobil­ité vise l’objectif de 20 %. Objec­tif qui ne pour­ra être atteint qu’en por­tant l’effort aus­si sur les voies cyclables. Un réseau express vélo est en cours d’aménagement : 6 km ont à ce jour été réal­isés sur les 20 km prévus.

Un article à lire aussi dans Vélocité n°151 — mai-juin 2019, une publication de la FUB.