Des vélorues venues d’Allemagne
La première vélorue est apparue en 1978, dans le nord-ouest de l’Allemagne, à Brême. Le jeune référent à la circulation de Brême, Klaus Hinte, s’inquiète des conséquences de la présence croissante de la voiture dans sa ville, qui semble incontrôlable. En effet, la circulation et le stationnement prennent tout l’espace disponible, alors que Brême compte de nombreuses rues étroites. De nombreuses personnes viennent à vélo au marché de Findorff, par exemple, et elles persistent à prendre des rues dans le sens contraire de la circulation pour rejoindre plus directement le marché. Dans Herbststraße, une des principales rues rectilignes du quartier, les véhicules se bousculent.
Frappé lors d’un voyage à Amsterdam par les premières rues apaisées, Klaus Hinte imagine une réglementation expérimentale de zone cyclable (Fahrradzone) et autorise les cyclistes à rouler dans les deux sens dans Herbststraße. Il a l’intuition géniale que la co-visibilité des usagers, la réduction du trafic de transit et la distinction de l’espace dédié au vélo par un revêtement coloré favoriseront non seulement le sentiment de sécurité des cyclistes mais réduiront aussi réellement l’accidentologie.
Alors que plusieurs vélorues existent déjà dans l’ouest de l’Allemagne, bardées de panneaux en raison des contraintes de la réglementation allemande, la vélorue n’arrive aux Pays-Bas qu’en 1996. La première vélorue, à Utrecht, est un échec retentissant. L’un des principaux axes menant à l’Université, dénué d’aménagements cyclables parce que trop peu large, se voit doté d’un séparateur axial élevé. Un panneau informait que les automobilistes avaient interdiction de doubler les cyclistes. Cependant, le séparateur empêchait physiquement tout dépassement, même nécessaire, ce qui provoquait le blocage complet de la circulation lorsque la chaussée était occupée par un camion de livraison. Depuis, grâce à des expérimentations plus concluantes, les vélorues se sont multipliées un peu partout aux Pays-Bas, y compris en milieu rural, et le pays en compte désormais davantage que l’Allemagne. Il en existe également quelques unes en Autriche, au Danemark, en Suisse, en Espagne, en Belgique et en France, à un stade plus expérimental que standardisé (à l’exception de la Flandre belge).
Le panneau ne fait pas la vélorue
Introduit par l’arrêté PAMA du 23 septembre 2015, c’est un aménagement qui reste mal connu, et sa définition est souvent sommaire et réductrice. Le CEREMA compare ainsi la vélorue non pas à la fietsstraat néerlandaise qui a fait ses preuves, mais à la récente rue cyclable belge, introduite dans le Code de la route en 2011, en la résumant ainsi : “Le vélo se positionne au centre de la voie et ne peut être doublé pour les voitures (dispositif pertinent pour des rues en double sens cyclable pas trop large)”. L’aménagement tel qu’il est présenté se limite à un renforcement de la légitimité et de la visibilité du cycliste par du marquage.
Or, la vélorue est d’abord un concept fonctionnel, qui doit s’insérer au sein d’un réseau efficace, sécurisé et cohérent. Et non pas seulement un outil de communication, un « gadget » destiné à pallier la faiblesse des aménagements existants.
Le réseau cyclable structurant — celui destiné à accueillir les flux majeurs de vélos — coïncide souvent avec les principales voies de transit motorisé. La vélorue entre en scène dans deux cas principaux :
Si une rue située sur un itinéraire cyclable principal ne peut accueillir de pistes cyclables et qu’il est possible de réduire ou de couper le trafic de transit , la vélorue constitue la meilleure solution pour marquer la continuité cyclable ;
ll peut arriver que les principales voies utilisées par les usagers du vélo ne coïncident pas avec les principales voies de trafic motorisé, parce que sur ces dernières la pratique du vélo n’y est est ni sûre ni attractive. S’il s’avère inenvisageable de réduire le trafic de transit automobile et de faire des pistes cyclables, mieux vaut conforter l’itinéraire alternatif dans une rue secondaire, via une ou plusieurs vélorues.
Dans une vélorue, l’usager du vélo est l’usager principal, pas « l’usager prioritaire »
Le volume de trafic motorisé y est limité, et subordonné au volume de vélos en circulation : la proportion d’au moins deux vélos pour une voiture est fondamentale.
Les vélorues sont le plus souvent, et abusivement, présentées en France comme des « rues à priorité cyclable ». Le terme de « priorité » est souvent compris à la fois comme une interdiction faite aux automobilistes de doubler les cyclistes et comme l’avantage donné aux cyclistes de bénéficier de la priorité dans les carrefours par rapport aux véhicules venant des rues sécantes.Mais l’interdiction de doubler n’existe pas ni en Allemagne ni aux Pays-Bas, contrairement à la Belgique. De même, le CEREMA rappelle à juste titre que la notion de « priorité » est valable uniquement aux intersections — et ce ne sont pas seulement les cyclistes qui ont la priorité, mais bien tous les véhicules qui peuvent emprunter la vélorue, donc les automobiles des riverains par exemple.
Une vélorue n’est pas un aménagement low-cost
Une vélorue s’apparente en fait à une large piste cyclable, mais sur une chaussée ouverte à un trafic motorisé résiduel. La vélorue permet de compléter, de mailler un réseau cyclable et d’assurer une connexion de grande qualité.
Par rapport à une piste, une vélorue optimise un espace de chaussée et reste une voie accessible à tous. La vélorue occupe moins d’espace qu’une piste cyclable et offre l’avantage d’améliorer son rapport coût/efficacité : elle n’est pas totalement fermée aux voitures et les places de stationnement peuvent être conservées.
Si les conditions sont réunies (très faible trafic automobile et lisibilité), la vélorue apporte enfin une grande sécurité. La probabilité d’accidents impliquant un cycliste seul y est faible, puisque l’aménagement ne nécessite pas d’obstacles à la circulation des véhicules motorisés, et qu’il est plus facile de proposer et de maintenir une certaine largeur et une bonne régularité au niveau du revêtement.