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Retour sur un congrès « grand cru »

Une remise de prix sous le signe du féminisme

La FUB avait choisi ce qu’il y a de plus beau à Bor­deaux pour annon­cer le pal­marès du sec­ond baromètre Par­lons vélo des villes cyclables jeu­di 6 févri­er : le Palais de la Bourse, mag­nifique bâti­ment XVIIIe qui se reflète dans le célèbre miroir d’eau sur la Garonne. Aus­si beau à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Et les invités n’ont pas non plus été déçus avec une pétil­lante maître de céré­monie venue présen­ter une à une les villes lau­réates : Albane Godard, très engagée avec « Femmes en mou­ve­ment », réseau féminin de la mobil­ité et du trans­port. Elle a fait mouche en criblant son dis­cours de références ciné­matographiques et d’expressions cyclistes, mais aus­si en met­tant en avant son intérêt pour les déplace­ments des femmes dans un espace conçu par des hommes.

Les « angles morts » de la loi d’orientation des mobilités

Pierre Serne, prési­dent du Club des villes et ter­ri­toires cyclables, Christophe Naj­dovs­ki, prési­dent de l’European Cyclists’ Fed­er­a­tion et Maire-adjoint à la Ville de Paris et Albane Godard, mem­bre du con­seil d’administration de Femmes en mou­ve­ment lors de la table ronde d’ouverture ©FUB

« Les grands gabar­its provo­quent des acci­dents qui pour­raient être évita­bles », a rap­pelé le prési­dent de la FUB Olivi­er Schnei­der au cours de la pre­mière table ronde de la journée d’étude, con­sacrée à la Loi sur les mobil­ités, pro­mul­guée le 26 décem­bre 2019. Car la demande de la FUB de sys­té­ma­tis­er le procédé tech­nique le plus sûr aler­tant le chauf­feur d’un poids lourd de la présence d’un vélo dans son angle mort n’a pas été retenue par la loi. Pourquoi ?

La députée de Haute-Marne Bérangère Abba, rap­por­teure de la Loi sur les mobil­ités, explique : « On était dans un con­texte… un cer­tain nom­bre de sujets de crispa­tions…  cer­tains députés n’ont pas souhaité ajouter une nou­velle con­trainte… » Le con­texte, c’est la grogne des trans­porteurs routiers qu’il fal­lait éviter de fâch­er plus qu’ils ne l’étaient déjà, au risque de se retrou­ver avec une paralysie du réseau routi­er en pleine grève des trains. Pour Christophe Béchu, maire d’Angers et prési­dent de l’AFITF, il existe d’autres répons­es : « Nous voulons que toute la desserte logis­tique du cen­tre ville puisse se faire sans camions ». Ce qu’il a décidé d’appliquer dans sa ville, s’il est réélu. En atten­dant ce jour…

Aménagements — le vélo, inévitablement transversal

« Il faut pass­er à un éch­e­lon inter­com­mu­nal pour pass­er à une pra­tique du vélo de masse », avance Sébastien Mar­rec, doc­tor­ant en amé­nage­ment et urban­isme qui tra­vaille actuelle­ment pour la Mairie de Paris. L’enjeu est en exten­sion : « La pra­tique du vélo a ten­dance à dimin­uer en périphérie des villes et en milieu rur­al — avec la hausse du vélo dans les métrop­o­les, il y a une dis­par­ité qui se creuse, un fos­sé ter­ri­to­r­i­al qui s’accompagne d’un fos­sé cul­turel, des risques de ten­sion autour de l’image que véhicule le vélo et qu’il ne faut pas nég­liger. »

Com­ment assur­er la cohérence et la cohé­sion ? « Aux Pays-Bas, la cohérence des poli­tiques cyclables au niveau inter­com­mu­nal est plus anci­enne. »

« On n’est pas dans le même imag­i­naire entre la France et les Pays-Bas », recon­naît Agathe Daudi­bon, chef de pro­jets à Vélo et Ter­ri­toires. Selon Vélo & Ter­ri­toires, seule­ment 56 % des inter­com­mu­nal­ités ont une stratégie vélo.

Les asso­ci­a­tions FUB le savent, du moins celles qui ont la chance d’avoir des con­tacts réguliers avec leurs élus et cadres tech­niques : il arrive que les ser­vices d’une Ville qui n’ont pas trop l’habitude de se par­ler se met­tent à tra­vailler ensem­ble à pro­pos de vélo. Et par­tir tout de suite de la bonne échelle sera un gage d’efficacité pour « un plan vélo qui serait trans­ver­sal dès le début », souligne Agathe Daudi­bon.

En Île-de-France, les asso­ci­a­tions ont pris les devants. « On s’est dit qu’on ne va pas atten­dre les poli­tiques, on va se met­tre autour d’une table nous-mêmes », racon­te Stein Van Oost­eren, porte-parole du col­lec­tif vélo Île-de-France. Et ça a fonc­tion­né : « Ce que nous avons réus­si en Île-de-France, c’est 4 000 per­son­nes qui for­ment ensem­ble le col­lec­tif avec 34 asso­ci­a­tions vélo. »

Ce col­lec­tif a tout de suite planché sur « une carte des con­ti­nu­ités : c’est le résul­tat d’une année de tra­vail. Pour par­ler de poli­tique, il faut avoir quelque chose de vis­i­ble. Main­tenant on a car­ré­ment un pro­jet à l’échelle de la Région. Nous avons choisi de suiv­re le même sché­ma que le RER. Pas pour met­tre les vélos dans le train, mais pour avoir des pistes cyclables larges, un réseau struc­turant avec cinq lignes qui quadrillent notre région. Après il faut que les poli­tiques s’en sai­sis­sent. Nous sommes en train d’aller voir tous les respon­s­ables poli­tiques et bonne nou­velle : ils achè­tent. On va faire en sorte qu’on par­le d’une seule voix ».

Passerelle d’Etat pour infrastructures cyclables

L’AFITF : encore un sigle imprononçable, mais auquel il va fal­loir s’habituer puisqu’il fait son entrée sur la planète vélo. L’Agence de Finance­ment des Infra­struc­tures de Trans­ports Française est le relais insti­tu­tion­nel des fonds d’Etat qui sou­ti­en­nent les gros pro­jets fer­rovi­aires, por­tu­aires, routiers ; et depuis l’an dernier les infra­struc­tures cyclables des­tinées à résor­ber les coupures urbaines (passerelles ou autres pro­jets coû­teux et stratégiques). Pour une toute petite part bien sûr, puisqu’il s’agit des 350 M € sur sept ans que le Pre­mier min­istre avait annon­cés dans son plan vélo nation­al.

La FUB a égale­ment fête ses 40 ans à l’occasion du con­grès ©FUB

Après avoir un peu inquiété en évo­quant l’instabilité chronique des ressources de l’AFITF (béné­fices des autoroutes, éco­taxe, radars… ), Christophe Béchu, son prési­dent et acces­soire­ment maire d’Angers, a don­né le mon­tant du « panier de ressources » actuel qui dépasse les deux mil­liards d’euros annuels. Quant aux petits 35O M € dédiés aux infra­struc­tures cyclables, ils ne se ven­ti­lent pas en 5O M Ä net par an : « Pour la pre­mière année, 2019, c’est env­i­ron la moitié de la somme qui a été affec­tée, 28 M Ä, cette année on est à 47 M Ä, et dès l’année prochaine on sera au-dessus des 50 M Ä. »

Peut-on espér­er une exten­sion de l’enveloppe nationale s’il y avait pléthore de pro­jets pour résor­ber les points noirs ? Pour­ra-t-on con­tin­uer à assur­er un co-finance­ment de l’ordre de 20 % ? Pour Christophe Béchu, « ça va dépen­dre du nom­bre de dossiers déposés ». Et l’alternative sera entre « dimin­uer les taux de sub­ven­tions ou aug­menter les enveloppes. S’il n’y a pas de ten­sion budgé­taire, il n’y a aucune rai­son de remanier l’enveloppe. »

Regroupe­ment de com­munes : une chance à saisir

Dans une petite ville de Nor­mandie, cen­tre d’une Com­mu­nauté d’Agglomérations ayant con­nu beau­coup de regroupe­ments de com­munes (le Cal­va­dos et l’Orne ont per­du cha­cun 180 et 130 com­munes sur les cinq dernières années), le résul­tat est plutôt posi­tif, même si l’on n’a pas encore énor­mé­ment de recul. L’agglomération est encore très jeune (créée en 2017) et se struc­ture pro­gres­sive­ment avec un pro­jet de ter­ri­toire qui se des­sine petit à petit. Le fait que des com­munes se soient regroupées per­met de faire exis­ter des pôles urbains sec­ondaires dans l’agglomération. Les gros boule­verse­ments de 20142017 (change­ment de périmètre région­al, nou­veaux doc­u­ments à réalis­er, trans­ferts de com­pé­tences…) com­men­cent à porter leurs fruits.

L’association des com­mu­nautés de France (AdCF = l’association des inter­com­mu­nal­ités, équiv­a­lente à l’AMF) sem­ble intéressée pour tra­vailler sur le vélo à l’échelle inter­com­mu­nale. Cela per­me­t­tra de répon­dre aux nom­breuses ques­tions à ce sujet qui ont fait suite au baromètre, conçu unique­ment à une échelle com­mu­nale. La pub­li­ca­tion des résul­tats du baromètre a soulevé de nom­breuses ques­tions quant à la con­struc­tion de pro­jets cyclables inter­com­mu­naux. Des échanges sur ce sujet avec les col­lec­tiv­ités et asso­ci­a­tions de col­lec­tiv­ités ont été menés en ce sens et seront appro­fondis, pour faire entr­er le vélo là où se trou­vent les com­pé­tences. Con­cer­nant les plus petites com­munes, on peut voir le verre à moitié plein en se dis­ant qu’une com­mune nou­velle (et encore plus une inter­com­mu­nal­ité) pour­ra exercer la com­pé­tence, là où des vil­lages de quelques cen­taines d’habitants, même s’ils l’avaient théorique­ment, ne pou­vaient le faire. Par con­tre, le rur­al reste le rur­al : que les com­munes soient petites ou grandes, le vélo est très loin d’être envis­agé comme une solu­tion et la voiture n’y est pas du tout con­trainte.

Séraphin Elie

Un article à lire aussi dans Vélocité n°154 — janvier-février-mars 2020, une publication de la FUB.