Là où il y a une forte fréquentation de cyclistes et qu’il n’y a pas de place pour créer des pistes, ou que la faiblesse du trafic motorisé ne les justifie pas, alors la vélorue est la meilleure option. La fonction de partie intégrante de réseau doit être évidente pour tous les usagers : une vélorue ne peut être parfaitement identifiable comme vélorue que si le profil et le design la distinguent d’une rue ordinaire.
Une vélorue peut être à un ou deux sens de circulation (mais les cyclistes y ont systématiquement le droit d’y rouler dans les deux sens), créées à partir d’une rue ou d’une route, le plus souvent déjà existante. Pour permettre aux véhicules de se croiser et de se dépasser, la largeur minimale aux Pays-Bas pour une vélorue à sens unique de circulation générale est de 4m20, mais elle s’étend beaucoup plus souvent à 4m50, voire plus de 5m si le trafic motorisé reste conséquent. Sur une vélorue à double sens, la largeur varie de 4m90 à 6m30 toujours en fonction des volumes de vélos et de voitures Sur les vélorues à deux voies, un séparateur non agressif peut être installé pour contribuer à ralentir les vitesses, mais cette bande médiane a le désavantage d’être un obstacle pour les cyclistes qui veulent dépasser des congénères plus lents. Aux Pays-Bas, lors de la construction de nouveaux quartiers, il arrive qu’une vélorue soit créée en tant qu’axe structurant de desserte et de circulation entre deux aménagements existants. L’objectif est de “modeler” les habitudes de déplacements des nouveaux habitants, sans prohiber la possession et l’utilisation de la voiture : si le principal axe du quartier est conçu d’abord pour le vélo, alors beaucoup d’habitants privilégieront naturellement le vélo.
Comparaison avant/après de la rue Leidseweg, à Utrecht (Pays-Bas), transformée en vélorue en 2016 (vidéo : Bicycle Dutch)
Dans le cas d’une voie existante, la vélorue peut être une voirie de quartier où la fonction résidentielle prédomine mais aussi une voie plus structurante, dense et où les fonctions (lieux d’emplois, commerces, établissements publics, lieux de loisirs) sont mixtes. Elle légitime l’usage de toute la largeur de chaussée. On trouve donc des vélorues sur des itinéraires fréquentées, avec un haut potentiel de trafic vélo. Elles font le lien entre deux aménagements existants, la plupart du temps des pistes cyclables, mais aussi par exemple des chaussées à voie centrale banalisée, d’autres vélorues ou des rues dotées de bandes cyclables larges et au trafic motorisé faible — ces dernières sont progressivement transformées en vélorues aux Pays-Bas.
Pour qu’une vélorue « fonctionne » correctement — c’est-à-dire que les cyclistes prédominent effectivement le trafic -, il est indispensable que plusieurs conditions soient réunies. La prédominance des cyclistes par rapport aux automobilistes, on l’a dit, est essentielle à la crédibilité d’une vélorue et à son fonctionnement. Cela signifie qu’a contrario, la vélorue n’est conçue que pour accueillir un trafic automobile aussi limité que possible, en proportion et en nombre dans l’absolu.
Aux Pays-Bas, où le trafic est globalement prédominé par le vélo dans de nombreuses localités, la recherche empirique révèle que cette prédominance peut plus facilement être obtenue sans modifier le profil d’une rue lorsque le volume de véhicule motorisé ne dépasse pas 500 véhicules par jour : le trafic vélo est déjà bien souvent supérieur. C’est véritablement lorsque le trafic motorisé dépasse 500 véhicules/jour que le respect de la proportion de 2 vélos pour 1 voiture est crucial. En s’appuyant toujours sur l’expérience des vélorues en fonctionnement, les Néerlandais sont arrivés à la conclusion que le volume de véhicules motorisés ne doit pas dépasser 2500 véhicules/jour. A ce niveau, il s’agit généralement d’axes commerçants situés dans des quartiers denses, comptant au moins 5000 cyclistes/jour — situation encore très rare dans la villes françaises en 2020. Si ce seuil de trafic motorisé est dépassé et qu’il n’y a pas la possibilité de le baisser, alors d’autres solutions doivent être trouvées pour aménager un itinéraire cyclable. Parmi les options les plus courantes : aménager une piste cyclable ou de définir un itinéraire complètement nouveau, mais aussi direct et efficace que celui utilisant l’axe en question. Une autre vélorue d’Utrecht est considéré comme un cas d’école : la longue rue Prins Hendriklaan accueille environ 14 000 personnes usagers du vélo par jour, mais également 3000 voitures. Le ratio vélos / voitures est largement respecté, mais la sécurité subjective pourrait être meilleure qu’actuellement s’il y avait moins de véhicules motorisés.
Les automobilistes doivent être incités à rouler à vitesse très réduite, à se sentir “invités” (“L’automobile est invitée” dit le panneau néerlandais, comme un slogan). Il s’agit d’une voie d’accès pour les riverains motorisés et en aucun cas de transit, qui implique que les automobilistes adaptent leur vitesse et plus largement leur comportement à la prédominance des cyclistes. La vitesse est obligatoirement limitée au maximum à 30 km/h. Le trafic motorisé doit y être au minimum deux fois moindre que le nombre de déplacements effectués à vélo (dans l’idéal trois à quatre fois inférieur) et très minoritaire dans l’ensemble des modes. Plus la pression automobile est faible, plus les cyclistes ont confiance, se sentent légitimes et utilisent toute la largeur de chaussée. Et plus la vélorue est attractive, efficace et sûre. La présence éventuelle de transports en commun, de livraisons et d’espaces de stationnement doit être limitée par rapport à une rue « standard ». Le stationnement automobile n’est donc pas interdit dans une vélorue, mais son emprise doit être limité, car trop de manœuvres nuisent aux conditions de sécurité (risque d’emportiérage et de conflits lors des manœuvres).
Comparaison avant/après de la rue Koekoekstraat, à Utrecht (Pays-Bas), transformée en vélorue en 2016 (vidéo : Bicycle Dutch)
Si ces critères ne sont pas réunis et si le contexte n’est pas propice à la création d’une vélorue, ouvrir une pseudo-vélorue ne suffira pas à transformer un contexte défavorable et il y a de très fortes probabilités que les objectifs ne soient pas atteints. Mais s’il existe une volonté politique d’améliorer les conditions de circulation des usagers, alors les services techniques peuvent oeuvrer à réduire le volume de trafic motorisé de manière à ce que le ratio de volume requis entre vélos et véhicules motorisés soit respecté, en s’appuyant sur un changement du plan de circulation.
La signalisation — réglementaire ou expérimentale — n’est pas suffisante pour assurer la lisibilité et la compréhension d’une vélorue par tous les usagers. Les exemples flamands et néerlandais montrent qu’il est indispensable d’accompagner la mise en place de cette signalisation par des mesures spécifiques en termes de design : l’utilisation d’un revêtement coloré lisse et sans interruption (de préférence un enrobé, rouge aux Pays-Bas et en Flandre), ou au moins de marquages spécifiques et très visibles au sol. Les Pays-Bas et la Flandre choisissent quasi systématiquement de l’enrobé rouge, pour marquer l’appartenance de la vélorue au réseau cyclable et signaler aux automobilistes sans ambiguïté qu’ils entrent dans un domaine de voirie particulier, où ils ne sont plus qu’invités. La colorisation, partielle ou totale, permet d’accentuer, d’affirmer le caractère spécifique de la rue. Une attention particulière est portée aux intersections entre la rue cyclable et les autres rues, en matière de co-visibilité, de marquage de priorité et d’éclairage.
Sur les bords de la chaussée des vélorues néerlandaises, on trouve de fines bandes de 30 cm dans une texture et une couleur différente de la partie centrale (généralement des briques ou des pavés incrustés gris). Ces “bandes de rabattement” matérialisent un petit espace tampon entre le domaine de chaussée et ce qui est en-dehors mais réduisent surtout visuellement l’espace de roulement pour inviter les automobilistes à ralentir. Elles permettent de maintenir les cyclistes à distance par rapport au trottoir ou au stationnement, les incitent à prendre leur place sur la chaussée. Ces bandes sont élargies en présence de stationnement, lorsque celui-ci ne peut être reporté sur les rues adjacentes.
Des aménagements physiques peuvent également être réalisés pour réduire les vitesses pratiquées, marquer l’entrée de la vélorue en créant un effet de porte et/ou orienter les flux de cyclistes. De manière générale, ces aménagements doivent être appliqués de la façon la plus systématique et homogène possible, dans le but d’aider au mieux l’usager à comprendre rapidement l’environnement dans lequel il se trouve, les principes en vigueur, ce qu’on attend de lui. L’espace doit parler de lui-même : gardons à l’esprit que le design doit être la traduction spatiale, en surface, de la ou des fonctions d’une rue.
Perspective axonométrique d’une vélorue française standard à sens unique de circulation générale, en milieu urbain (Design imaginé par Sébastien Marrec et Florian Le Villain).