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Les vélorues vont conquérir les villes françaises, épisode <span class="numbers">2</span> : quelles sont les fonctions et bénéfices d’une vélorue ?

Les idées reçues sur les amé­nage­ments cyclables et plus générale­ment sur les espaces publics favor­ables au vélo sont légion, et la vélorue n’échappe pas à la règle, d’autant que les exem­ples sont encore très peu nom­breux en France. Intro­duit par l’arrêté PAMA du 23 sep­tem­bre 2015, c’est un amé­nage­ment qui reste mal con­nu, et lorsque par hasard il est évo­qué lors d’un ate­lier ou une con­férence, la déf­i­ni­tion est qua­si sys­té­ma­tique­ment som­maire et réduc­trice. Le CEREMA com­pare ain­si la vélorue non pas à la fietsstraat néer­landaise qui a fait ses preuves, mais à la récente rue cyclable belge, intro­duite dans le Code de la route en 2001, en la résumant ain­si : “Le vélo se posi­tionne au cen­tre de la voie et ne peut être dou­blé par les voitures (dis­posi­tif per­ti­nent pour des rues en dou­ble-sens cyclable pas trop large)”. L’aménagement tel qu’il est présen­té se lim­ite à un ren­force­ment de la légitim­ité et de la vis­i­bil­ité du cycliste par du mar­quage, et non à une nou­velle typolo­gie d’aménagement répon­dant à une fonc­tion spé­ci­fique.

Il est utile de rap­pel­er que la vélorue est d’abord un con­cept fonc­tion­nel au sein d’un réseau effi­cace, sécurisé et cohérent et non pas seule­ment un out­il de com­mu­ni­ca­tion, un gad­get des­tiné à pal­li­er la faib­lesse des amé­nage­ments exis­tants. Il s’agit d’une voie qui forme une par­tie du réseau cyclable prin­ci­pal et doit être la plus inclu­sive pos­si­ble, accueil­lir tous les types d’usagers du vélo — critère con­di­tion­né au sen­ti­ment de sécu­rité qu’offre la rue. En effet, les vélorues ne sont pas des rues des­tinées seule­ment à favoris­er les cyclistes les plus assurés, les plus intrépi­des et les plus rapi­des, mais bien des usagers de tous les âges et de toutes les capac­ités (“all ages and abil­i­ties”, dis­ent les Anglo-Sax­ons).

Le réseau cyclable struc­turant — celui des­tiné à accueil­lir les flux majeurs de vélos — coïn­cide sou­vent avec les prin­ci­pales voies de tran­sit motorisé. Dans les villes dis­posant d’un cen­tre et de quartiers anciens en par­ti­c­uli­er, les voies radi­ales rem­plis­sent fréquem­ment une fonc­tion impor­tante tant pour le traf­ic vélo que pour le traf­ic auto­mo­bile. Dans deux cas prin­ci­paux, un type spé­ci­fique d’aménagement cyclable entre en scène : la vélorue.

Dans une vélorue, l’usager du vélo est avant tout l’usager principal, avant d’être un des usagers prioritaires

Le vol­ume de traf­ic motorisé y est lim­ité, et sub­or­don­né au vol­ume de vélos en cir­cu­la­tion, qui doit être au min­i­mum le dou­ble du traf­ic motorisé. Cette pro­por­tion d’au moins 2 vélos pour 1 voiture est fon­da­men­tale. Comme une vélorue con­cerne néces­saire­ment un itinéraire cyclable prin­ci­pal, la supéri­or­ité numérique du traf­ic vélo va en théorie de soi. Le traf­ic peut ain­si y être aus­si mas­sif que sur des amé­nage­ments cyclables en site pro­pre. Cepen­dant, mis à part la pro­por­tion de vélos très majori­taire, les amé­nageurs néer­landais esti­ment qu’un nom­bre élevé d’usagers du vélo dans l’absolu est égale­ment néces­saire pour stat­uer sur la trans­for­ma­tion d’une rue en vélorue. Sans per­dre de vue le con­texte local, une vélorue est ain­si dif­fi­cile­ment envis­age­able si le traf­ic vélo ne fran­chit pas le mil­li­er chaque jour de semaine, c’est-à-dire 100 à l’heure de pointe.

Une qual­ité sup­plé­men­taire accordée à la vélorue est la pri­or­ité aux cyclistes et à tous les véhicules emprun­tant la vélorue. Cette con­sid­éra­tion nous amène à la manière dont les vélorues sont le plus sou­vent, et abu­sive­ment, présen­tées en France : des “rues à pri­or­ité cyclable”. Le terme de “pri­or­ité” n’est sou­vent pas explic­ité, et il est sou­vent com­pris à la fois comme une inter­dic­tion faite aux auto­mo­bilistes de dou­bler les cyclistes et comme l’avantage don­né aux cyclistes de béné­fici­er de la pri­or­ité dans les car­refours par rap­port aux véhicules venant des rues sécantes. Con­cer­nant le pre­mier point, il s’avère que cette inter­dic­tion n’existe pas ni en Alle­magne ni aux Pays-Bas, con­traire­ment à la Bel­gique (où elle fig­ure dans le Code de la route). En France, sans que le dis­posi­tif n’existe dans la régle­men­ta­tion, les villes qui ont expéri­men­té des vélorues insis­tent sur cette notion d’interdiction.

Con­cer­nant le deux­ième point, le CEREMA rap­pelle à juste titre que la notion de pri­or­ité est val­able unique­ment aux inter­sec­tions — mais évoque dans le même temps une “pri­or­ité rel­a­tive” du vélo sur la voiture con­cer­nant les vélorues et encour­age l’impossibilité de dou­bler pour les véhicules motorisés. Cepen­dant, ce ne sont pas seule­ment les cyclistes qui ont la pri­or­ité, mais bien tous les véhicules qui peu­vent emprunter la vélorue, donc les auto­mo­biles des riverains et les véhicules de livrai­son par exem­ple. De ce point de vue, la vélorue ne suit pas le tra­di­tion­nel régime de pri­or­ité à droite des zones 30. Aux Pays-Bas, déroger à la pri­or­ité à droite dans des rues rési­den­tielles n’est pas autorisée, mais le lég­is­la­teur fait une excep­tion pour ce qui est con­sid­éré comme un itinéraire cyclable prin­ci­pal dans le règle­ment d’application de l’Administration des routes.

Quels sont les bénéfices d’une vélorue ?

Une vélorue s’apparente en fait à une large piste cyclable, mais sur une chaussée ouverte à un traf­ic motorisé résidu­el. C’est un amé­nage­ment à part entière en faveur du vélo, struc­turant pour les déplace­ments des cyclistes (qui assure, autrement dit, une fonc­tion de cir­cu­la­tion de tran­sit pour eux), et qui est par­tie inté­grante d’un réseau cyclable. La vélorue per­met de com­pléter, de mailler un réseau cyclable, et d’assurer une con­nex­ion de grande qual­ité. A ce titre, elle joue un rôle impor­tant pour l’intégration des usagers du vélo dans l’espace urbain.

Par rap­port à une piste, une vélorue opti­mise un espace de chaussée et reste une voie acces­si­ble à tous. La vélorue occupe moins d’espace qu’une piste cyclable et offre l’avantage pour les Néer­landais d’améliorer son rap­port coût/efficacité : elle n’est pas totale­ment fer­mée aux voitures, et les places de sta­tion­nement peu­vent être con­servées.

La vélorue apporte enfin une grande sécu­rité. La prob­a­bil­ité d’accidents impli­quant un cycliste seul y est faible, puisque l’aménagement ne néces­site pas d’obstacles à la cir­cu­la­tion des véhicules motorisés, et qu’il est plus facile de pro­pos­er et de main­tenir une cer­taine largeur et une bonne régu­lar­ité au niveau du revête­ment. Par ailleurs, une vélorue tra­ver­sant un quarti­er rési­den­tiel donne un plus grand degré de sécu­rité en com­para­i­son d’une piste cyclable séparée le long d’une chaussée dom­inée par le traf­ic motorisé, en par­ti­c­uli­er pour les plus sen­si­bles et réti­cents à une atmo­sphère routière.

Com­para­i­son avant/après de la rue Troel­stralaan, à Utrecht (Pays-Bas), trans­for­mée  en vélorue en 2014 (vidéo : Bicy­cle Dutch et bil­let à lire ici, traduit en français par Jeanne à vélo

Ce que la vélorue n’est pas

La “fiets zone” de Cour­trai (Bel­gique) est une pre­mière, puisqu’il ne s’agit pas d’une vélorue, mais d’un ensem­ble de 74 rues où les usagers du vélo sont con­sid­érés comme pri­or­i­taires par rap­port aux auto­mo­bilistes. Par con­séquent, toutes les rues de l’hypercentre de Cour­trai hormis les rues pié­tonnes sont cen­sées être dom­inées par les cyclistes, ce qui n’est pas le cas. Le mar­quage est très ren­for­cé, mais le design reste éloigné du stan­dard néer­landais (Image : Flo­ri­an Le Vil­lain).

Il paraît utile de rap­pel­er aus­si ce que la vélorue n’est pas, afin d’éviter toute méprise con­ceptuelle, ambiguïté ou déf­i­ni­tion sim­pliste à l’emporte-pièce. Les vélorues ne sont pas des rues unique­ment réservées aux vélos : les amé­nage­ments stricte­ment réservés aux vélos s’appellent des pistes cyclables. Les rues acceptent par déf­i­ni­tion une mix­ité d’usagers et d’usages et il n’existe d’ailleurs pas de vélorue qui soit totale­ment fer­mée aux véhicules motorisés, où que ce soit en Europe. Une cir­cu­la­tion de desserte est per­mise.

Les vélorues ne sont pas non plus des aires pié­tonnes, bien sûr. En France, celles-ci, dans leur immense majorité, autorisent les cyclistes “à la con­di­tion de con­serv­er l’allure du pas et de ne pas occa­sion­ner de gêne aux pié­tons” (art. R431-9 du Code de la route). Les aires pié­tonnes ne sont nulle­ment adap­tées à des itinéraires cyclables sûrs, con­fort­a­bles et sus­cep­ti­bles d’accueillir des flux impor­tants d’usagers. La fréquen­ta­tion de cyclistes est oblig­a­toire­ment plus faible que la fréquen­ta­tion pié­tonne, et se fait à vitesse réduite. Dès lors que le nom­bre de pié­tons devient élevé par rap­port au pro­fil et au poten­tiel d’accueil d’une rue, le partage de l’espace entre pié­tons et vélos n’est plus pos­si­ble. Aux Pays-Bas, le Cen­tre de régle­men­ta­tion et de recherche des routes (CROW) pré­conise de sépar­er les chem­ine­ments pié­tons et cyclables suiv­ant des seuils cal­culés par heure et par mètre de largeur de voie.

Les vélorues ne sont pas sim­ple­ment non plus des zones de mod­éra­tion de la cir­cu­la­tion et de partage de la voirie, où les cyclistes sont cen­sés ne pas être dou­blés et paci­fi­er le traf­ic par leur présence. Ain­si, elles ne s’apparentent pas à des sortes de zones de ren­con­tre ou de zones 30 “à la française” où les cyclistes seraient sim­ple­ment mieux “pris en compte” — prin­ci­pale­ment par le fait qu’il serait inter­dit de les dou­bler. Dans des rues de toute façon étroites, le CEREMA sem­ble oubli­er qu’il est régle­men­taire­ment impos­si­ble de dou­bler puisqu’une voiture ne peut dou­bler un vélo en respec­tant le mètre de dis­tance de dépasse­ment. Ils sem­ble égale­ment ne pas savoir non plus qu’aux Pays-Bas, il est autorisé de dou­bler dans une vélorue dès lors que la largeur est suff­isante, évi­tant le stress du cycliste suivi de trop près par un ou plusieurs con­duc­teurs impa­tients, et qu’il est même recom­mandé de prévoir cette largeur suff­isante. C’est pour­tant cette philoso­phie générale qui a con­duit cer­taines villes français­es à met­tre en place des vélorues, en réponse hâtive à un con­stat de plus en plus vis­i­ble : les cyclistes n’évoluent qua­si jamais dans de bonnes con­di­tions de sécu­rité, y com­pris dans des zones dites apaisées, à cause de vol­umes de cir­cu­la­tion motorisée trop impor­tants, ou de pri­or­ités et de vitesses non respec­tées.

 

Si la vélorue relève bien de la caté­gorie des voies apaisées, elle s’en dis­tingue par bien des aspects. La vélorue accueille d’abord une forte cir­cu­la­tion de tran­sit, en l’occurrence de vélos : elle a une fonc­tion cir­cu­la­toire affir­mée. À l’heure de pointe, la den­sité de vélos peut y être très élevée. Cette fonc­tion cir­cu­la­toire a pour corol­laire spa­tial une nette pri­mauté don­née aux usagers du vélo sur la chaussée, et donc une dis­tinc­tion plus affir­mée — en ter­mes de matéri­aux et de teintes de revête­ments — entre la par­tie pié­tonne et la chaussée, dom­inée par la cir­cu­la­tion des vélos, que dans une zone de ren­con­tre.

Vue d’artiste de la rue de l’Horloge à Rennes, trans­for­mée en vélorue. Cette rue est une par­tie d’un axe nord <> sud struc­turant pour les déplace­ments à vélo dans l’hypercentre. (Flo­ri­an Le Vil­lain pour Rayons d’Action)