Les femmes aiment la mécanique, surtout quand il s’agit de réparer leurs vélos. De la «vélorution», en passant par les ateliers de réparation à mixité choisie, jusqu’en Afghanistan, la bicyclette est le nouvel étendard féministe.
«Bloquez le trafic ! Distribuez des prospectus aux automobilistes, expliquez-leur pourquoi nous les ralentissons ! Le trafic, c’est vous !» s’époumone Fanny, membre des «Roues Libres», un groupe de mécanos féministe local, dans un mégaphone sur la Place de Strasbourg à Tours. Tandis qu’une enceinte envoie des hymnes révolutionnaires, sous un soleil de plomb et sur l’asphalte brûlant, ils sont plus de 300 cyclistes à investir les rues de la préfecture d’Indre-et-Loire. Ils revendiquent haut et fort une plus grande place pour le vélo dans l’aménagement des villes.
Une fois les dernières instructions exposées, la «vélorution universelle» peut enfin commencer. La dixième édition de cette révolution qui se fait sur deux roues et à la force des mollets a été portée par un nombre égal de femmes et d’hommes. «Une parité encore inimaginable quelques années plus tôt», raconte Anaelle, une des organisatrices de l’évènement.
Arrivée pour la première fois dans un atelier vélo participatif et solidaire par le biais de son copain pour réparer ses freins, Anaelle est aujourd’hui devenue une des figures de l’association cyclo militante Roulement à bille. Désormais, elle gère seule des permanences à l’atelier et c’est elle qui guide les personnes venues pour y retaper leur deux-roues. Une trajectoire étonnante pour une jeune femme dont le «papa avait toujours réparé [le] vélo». «Cette aventure m’a énormément donné confiance en moi en tant que femme, il y a une fierté évidente à réussir quelque chose d’ordinaire réservée aux hommes», ajoute-t-elle. Comme elle, elles sont nombreuses à raconter s’être émancipées en jouant du pédalier et de la clef à molette. Mais avant d’en arriver là, Manon, une autre Tourangelle, se souvient «les moments de rage, d’humiliation et de frustrations» qu’elle a vécus à ses débuts de mécano. «Les hommes me retiraient les outils des mains et me parlaient de façon condescendante sans m’expliquer ce qu’ils faisaient. Je me suis souvent sentie conne», finit la mécanicienne.
C’est de ce constat que Manon et les autres Tourangelles ont créé le collectif des «Roues Libres». Tous les samedis, l’atelier «Roulement à bille» devient «exclusivement réservé aux femmes cisgenres [quand le genre ressenti correspond à son sexe biologique, ndlr] et aux femmes trans», comme l’indique une affiche sur la porte du garage. Si dans les premiers temps, beaucoup d’hommes se sont sentis exclus et ont mal vécu la mise en place de ces ateliers d’un nouveau genre, ils sont de plus en plus nombreux à revenir sur leurs a priori. Nicolas, venu à Tours pour faire la «vélorution», est bénévole à Grenoble dans le plus vieil atelier de France, Un p’tit vélo dans la tête. Il avoue que s’il était totalement contre ces ateliers au début, il trouve ça «plutôt chouette. Cela m’a permis de réfléchir à mon propre comportement et de le modifier. Maintenant je prends plus le temps d’expliquer aux filles et je ne fais pas les réparations à leur place».
Source : «Le vélo, c’est l’outil par excellence des féministes» — Libération