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Santiago à vélo

Au pre­mier coup d’œil, c’est clair : on voit beau­coup de vélos dans la ville de San­ti­a­go. Et vis­i­ble­ment ce ne sont pas des promeneurs, mais des gens de tous âges qui en ont besoin pour se déplac­er, rel­a­tive­ment nom­breux aux heures de pointe. Les enquêtes con­fir­ment la pro­gres­sion : d’une part modale de 1 % en 2000, on est passé à 3 % en 2012, et la dernière enquête fait état de 4 à 5 % en 2014.

Casque obligatoire… et conseillé

Sur le grand marché aux pois­sons. ©JMT

Deux­ième coup d’œil : beau­coup por­tent le casque, en grande majorité dans cer­tains quartiers ou à cer­taines heures. En fait, le casque ici est oblig­a­toire, mais les amendes plutôt rares, alors cha­cun fait ce qu’il veut. Il suf­fit de pass­er au tra­vers des rares con­trôles de police.

Mais beau­coup roulent casqués par crainte de l’accident. Et très vite on se rend compte que dans cette ville grouil­lante et stres­sante la cir­cu­la­tion est dif­fi­cile, et même assez dan­gereuse pour les cyclistes. On trou­ve beau­coup de larges avenues conçues comme des routes, à deux fois deux voies, qui n’incitent pas vrai­ment à respecter la lim­i­ta­tion de vitesse à 50 km/h. Un pro­grès puisqu’ici on pou­vait rouler à 60 km/h il y a encore quelques mois. Et les con­duc­teurs ne se font déjà pas de cadeaux entre eux, alors avec les vélos…

Des voies cyclables sans réseau

Une piste cyclable bien
dimen­sion­née dans le cen­tre. ©JMT

Des ban­des cyclables il y en a, par­fois des pistes sur trot­toirs, des tra­ver­sées vélo le long des pas­sages pié­tons, mais pas partout, et surtout pas de manière con­tin­ue. Les car­refours sont à peu près sys­té­ma­tique­ment oubliés dans les amé­nage­ments cyclables, et leur tra­ver­sée exige sou­vent de bien con­naître la manière de les abor­der pour ne pas se faire ser­rer par une voiture. Il y a des acci­dents, qui tuent plusieurs cyclistes chaque année, et beau­coup plus de pié­tons.

De toutes les grandes villes d’Amérique latine, c’est pour­tant San­ti­a­go qui con­naît actuelle­ment la plus forte crois­sance de réseau cyclable, devant Bogo­ta. L’effort est dis­parate mais réel, beau­coup de pistes récentes sont con­fort­a­bles, cer­taines avec sépara­teurs en relief, et on voit timide­ment appa­raître des zones 30. Mais la ville est immense (plus du tiers de la pop­u­la­tion chili­enne habite l’agglomération) et vit encore dans la fas­ci­na­tion de la voiture, grosse de préférence si on a les moyens, alors que la géo­gra­phie en cuvette, au pied de la Cordil­lière des Andes, con­tribue à une red­outable stag­na­tion de la pol­lu­tion. C’est plus fort que tout : le beau SUV japon­ais fait rêver les class­es moyennes.

Les voitures dans les voies de bus

Le meilleur moyen de pass­er un car­refour est encore le pas­sage pié­tons. Ici dans le quarti­er de Ñuñoa, dans l’est de San­ti­a­go. ©JMT

Et puis, il y a les mau­vais­es habi­tudes qui ont la vie dure : pen­dant les quelques jours de mon séjour dans la cap­i­tale chili­enne, j’ai sou­vent vu des motos ou des cyc­los pren­dre impuné­ment la bande cyclable pour remon­ter jusqu’au feu rouge. Mais après tout, la Ville a com­mencé à installer à cer­tains car­refours, devant la ligne de feux, des sas… pour les motos ! Alors pourquoi se gên­er ?

Il y a aus­si les voies de bus qui sont ouvertes aux vélos… et aux voitures si elles se pré­par­ent à tourn­er à droite au prochain car­refour !

Tan­dis que de plus en plus de téméraires affron­tent à vélo la dure réal­ité de la chaussée, quelques bénév­oles tra­vail­lent à leur faciliter l’existence vaille que vaille. Dans le petit ate­lier « Reci­cle­ta », instal­lé dans le cen­tre de San­ti­a­go (à quelques blocs au sud du Pala­cio de la Mon­e­da), ils sont quelques-uns à venir régulière­ment remet­tre en état des vélos inutil­isés qu’on leur donne, pour les met­tre à dis­po­si­tion de ceux qui en ont besoin. Ici, un vélo neuf basique coûte à peu près le salaire men­su­el d’un petit employé. Le prix bien inférieur de revente de ces vélos remis en état aide à pay­er le loy­er du local.

Un petit atelier qui grandit

« On a com­mencé en 2010, racon­te Ani­ta, l’une des fidèles de la petite asso­ci­a­tion, pour quelqu’un qui voulait remet­tre en état un vélo pour sa belle-mère. Un sec­ond volon­taire est arrivé, qui s’y con­nais­sait déjà un peu plus en mécanique. Et il y a deux ans, on a pu louer ce local pour ouvrir un ate­lier. » Ani­ta a dû réa­gir à une édu­ca­tion claire­ment anti-vélo : « Ma mère ne m’a pas lais­sé aller à bicy­clette au col­lège avant l’âge de 17 ans. Partager la rue c’était impos­si­ble, le vélo c’était un jou­et, pas un moyen de trans­port ».

Peu à peu l’activité de l’atelier aug­mente, d’autres mécani­ciens volon­taires rejoignent le noy­au de départ, une organ­i­sa­tion un peu plus struc­turée se met en place, ceux qui savent appren­nent à ceux qui ne l’ont jamais fait à chang­er un câble de frein ou à régler un dérailleur. Et de bouche à oreille, avec l’aide effi­cace des réseaux soci­aux, le local est devenu un espace ouvert, et de plus en plus régulière­ment fréquen­té.

Pas de plan d’ensemble

Le vélo en free float­ing s’impose lui aus­si dans les rues de San­ti­a­go au Chili. ©JMT

« Quand j’ai démar­ré, j’étais seul et je n’y con­nais­sais rien, racon­te Alexan­dro, le fon­da­teur. Aujourd’hui, on est six ou sept, et régulière­ment main­tenant deux ou trois à faire tourn­er l’atelier. On change notre manière de tra­vailler, en accueil­lant surtout des gens qui vien­nent appren­dre à répar­er, tous les samedis depuis le mois de sep­tem­bre de cette année. »

Le vélo en libre ser­vice côtoie à San­ti­a­go le free float­ing. ©JMT

A côté de cette évo­lu­tion pos­i­tive d’une action mil­i­tante très engagée sur l’aspect pra­tique, assiste-t-on à une évo­lu­tion tout aus­si pos­i­tive du réseau cyclable urbain ? Pas vrai­ment. Si effec­tive­ment le kilo­mé­trage de voies cyclables con­tin­ue à s’allonger, c’est plutôt dans le désor­dre, et pas tou­jours avec les bonnes largeurs. « Il n’y a pas de plan d’ensemble, se désole Alexan­dro. Pas de plan­i­fi­ca­tion. » Et pour cause : admin­is­tra­tive­ment, il y a l’équivalent d’un maire pour chaque quarti­er, et si au-dessus il existe bien un « inten­di­ente » de toute la ville, « c’est un gou­verneur sans pou­voir ».

Une unité administrative à trouver

Avant de par­ler avec une autorité cen­trale, encore faut-il que cette autorité existe.

Le pre­mier boulot des asso­ci­a­tions est donc de pouss­er (ça en prend le chemin) à la mise en place d’une struc­ture admin­is­tra­tive urbaine, pour avoir l’interlocuteur en mesure d’agir sur un réseau cyclable struc­turant dont la ville a le plus grand besoin. Faute de quoi aujourd’hui c’est encore l’éparpillement des ini­tia­tives, au gré des cal­culs élec­toraux des élus en place : « Si un maire quelque part décide de faire une voie cyclable, très bien, mais elle va s’arrêter en lim­ite de son ter­ri­toire, et de l’autre côté, il n’y aura rien ! Et il y a aus­si des rues qui font la lim­ite entre deux com­munes… Il faut qu’on essaie d’unifier tout ça pour arriv­er à dis­cuter, sans ça il n’y a aucune plan­i­fi­ca­tion pos­si­ble », con­state Alexan­dro, pas découragé pour autant : « Les quartiers de Prov­i­den­cia, Con­des et San­ti­a­go cen­tro, qui ont trois maires dif­férents, sont en train de ten­ter une uni­fi­ca­tion ».

Le vélo reconnu comme véhicule

Pour anticiper sur un car­refour dif­fi­cile, on peut préfér­er le trot­toir à la piste cyclable. ©JMT

Un espoir : depuis le 11 novem­bre, une nou­velle loi change un peu la donne, à com­mencer par la recon­nais­sance du vélo comme véhicule et son inter­dic­tion offi­cielle sur les trot­toirs. Cette même loi va faciliter l’abaissement des vitesses en ville et l’aménagement d’espaces cyclables. Un pro­grès impor­tant, recon­naît Alexan­dro sans se faire d’illusions sur les dif­fi­cultés d’application. Il pense déjà à la prochaine étape : en finir avec l’obligation du casque, logique dans un espace qui sera mieux partagé.

En atten­dant, de nom­breuses petites asso­ci­a­tions tra­vail­lent comme la Reci­cle­ta au plus près des besoins des habi­tants, des usagers ou de ceux qui pour­raient le devenir. En s’efforçant de rester avant tout dans le pra­tique, car c’est ça qui est à leur portée. Pour tout le reste, qui dépasse encore leurs moyens d’action, Alexan­dro hiérar­chise trois pri­or­ités face à un manque évi­dent de cul­ture vélo : « la loi à faire encore évoluer, l’éducation, et les infra­struc­tures cyclables ».

La pro­gres­sion en cours laisse espér­er à San­ti­a­go une part modale de 7 à 9 % dans un avenir proche. On souhaite bien sûr aux vélotaffeurs chiliens la pro­gres­sion indis­pens­able en par­al­lèle : celle de la sécu­rité dans le traf­ic.

Un article à lire aussi dans Vélocité148 — septembre-octobre 2018, une publication de la FUB.