A Paris, l’avenue du Général Leclerc fait depuis plusieurs mois l’objet d’une bataille rangée entre la préfecture de Police et une coalition de riverains, d’usagers des bus, de politiques et de militants pro-vélo. Au cœur du conflit, un projet ambitieux de réaménagement bloqué par la préfecture, blocage inacceptable pour les militants. Actuvelo.fr a interviewé Simon, porte-parole de Paris en Selle, association FUB à l’initiative de la campagne « Libérer Leclerc », il nous livre les détails de l’opération, qui ne manque pas d’intérêt pour inspirer d’autres collectifs ailleurs : rassembler largement pour peser plus.
Quelle est la genèse de la mobilisation ?
Simon: L’avenue du Général-Leclerc traverse le 14eme arrondissement du nord au sud. C’est un des axes les plus circulés de la ville, une véritable autoroute urbaine, une aberration à l’heure de la mobilité durable. Dans son plan vélo, la mairie de Paris avait annoncé un réseau express vélo, qui permettrait des liaisons efficaces à vélo entre le centre et la banlieue. L’avenue en question doit représenter l’axe nord-sud, pour la partie sud de Paris. C’est ce qui explique que, à Paris en Selle (PES), on s’intéresse tout particulièrement au projet. Il s’avère que la mairie du 14eme arrondissement est volontariste sur le sujet, et a lancé depuis 2 ans une grande concertation. Il y a une mobilisation historique d’une association de riverains pour essayer de changer les choses, tant les nuisances sont pénibles pour tout le monde. Lorsque PES a réussi à s’insérer dans le dispositif de concertation, nous avons réussi à défendre une proposition d’aménagement plus en phase avec les besoins des cyclistes. Si l’objectif est d’en faire un axe cyclable majeur, nous avons proposé de séparer les pistes cyclables et les couloirs bus, entre autres. Nous avons réussi à convaincre tous les participants que c’était possible et surtout, que c’était gagnant pour tout le monde : on améliore la circulation des bus, on améliore la circulation des vélo, sans changer le fondement du projet.
Mais la véritable mobilisation va débuter lorsque la préfecture de Police de Paris émet son avis. A Paris, la préfecture a un droit de regard sur les aménagements de voirie de certains axes dits « essentiels ». Et dans le dossier en question, l’avis négatif de la préfecture est un véritable bras d’honneur à tous les acteurs qui actent depuis des années pour le bien commun. Les élus, la RATP, les associations, dont celle des riverains (qui réunit pas mal de personnes plutôt âgées). Les assos pro-vélos se sont accordés avec l’association des riverains sur ce sujet. C’est un véritable abus de pouvoir, puisque le préfet doit motiver son avis uniquement sur la bonne circulation des véhicules d’urgence, alors que là, il s’avère qu’il défend un statu quo « pro-bagnole ». Un statu quo qui ne profite d’ailleurs ni à la bonne circulation des véhicules d’urgences, ni aux automobilistes, puisque c’est bouchonné en permanence. Quand les convois de prisonniers prennent l’avenue il n’est pas rare que des flics en cagoule fassent la circulation avec les Famas…
L’objectif du projet défendu par la Mairie, et par notre coalition, est bien évidemment de limiter l’usage de la voiture, ce qui fluidifierait les carrefours. Mais de surcroît, les couloirs bus et la piste cyclable offrent des voies d’accès pour permettre aux véhicules d’urgence de circuler.
Bref, le refus du préfet est le symptôme d’un logiciel complètement rouillé, le même logiciel s’était déjà exprimé sur le projet rue de Rivoli [qui avait fait parlé de lui en Aout 2017 NDLR]. Sur l’Avenue du Général Leclerc, nous avons réussi à s’accorder avec tout le monde pour ne pas laisser passer ça.
Comment fonctionne la coalition ?
Simon : La campagne « Libérer Leclerc » réunit des acteurs de la mobilité durable : Paris en Selle, le MDB, l’AUT IDF… Mais aussi l’association des riverains. La mobilisation historique des riverains était plutôt « à l’ancienne », ils avaient mis en place une pétition version papier par exemple. Quand des militants de PES ont décidé de s’investir, nous avons tout de suite utilisé des outils plus modernes : une pétition en ligne, un site web attrayant, un compte twitter, un compte facebook, une conférence de presse, etc. Les riverains ont eu un peu de mal à suivre, certains souhaitaient rester dans une éthique de la discussion, alors que pour nous, c’est justement le préfet qui a mis le feu au poudre. Tout le monde n’est évidemment pas en première ligne, mais c’est parti vite et fort.
Nous avons lancé la campagne avant les fêtes, nous avons relancé la pétition ensuite, nous programmons une manifestation pour très bientôt [elle est déjà passée — le 3 février], et il faudra continuer à créer de l’actualité pour rester visible médiatiquement. Nous utilisons aussi la fenêtre médiatique du retard de Vélib’ pour avancer sur ce sujet. En parallèle, nous menons un travail de terrain avec des tractages, grâce à nos militants, sans oublier de continuer à travailler en off avec les acteurs impliqués.
Paris en Selle a la chance d’avoir des nombreuses compétences en interne : des graphistes, des communicants, des juristes. Avec des actions concrètes comme cette campagne, il est plus facile de mobiliser de nouveaux adhérents. Notre nombre d’adhérents augmente de manière assez constante. Même si beaucoup de choses reposent aujourd’hui encore sur quelques personnes très motivées, particulièrement celles qui habitent à proximité.
Pourquoi c’est un enjeu stratégique pour vous ?
Simon : Lorsque nous avons attaqué le préfet suite à l’affaire Rivoli, cela s’est cantonné à un hashtag sur twitter [#AlloMichel]. L’écho médiatique a été bon parce que l’actualité était plutôt creuse en plein mois d’août. Sur ce projet, nous pouvons aller plus loin. Nous menons un véritable travail de pression sur la préfecture de Police, il faut établir un rapport de force, pour que le préfet écoute enfin tous les usagers de la rue, et pas uniquement les automobilistes. Avec Leclerc, nous ne sommes pas dans une configuration « les cyclistes » versus « le préfet », mais « le préfet » contre « les parisiens » de manière générale. La coalition est inclusive et ça nous permet de mieux toucher de nouveaux publics : les personnes âgées, les gens avec des poussettes, les épuisés du bruit et de la pollution de l’air, les commerçants. Ce qui est important pour nous, c’est de sortir de revendications « communautaires » centrées sur les cyclistes : il faut bien se positionner du côté de l’intérêt général.
Merci Simon!