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Être autonome à vélo : réflexions d’une ergothérapeute

Vélo cargo ou draisienne pour enfant ?

Trans­port d’enfants en vélo car­go. © C. Péchoux

Un vélo car­go à usage famil­ial est un bi ou tri­por­teur avec une caisse à l’avant, dans laque­lle se trou­ve un ou deux petits bancs pour trans­porter plusieurs enfants assis ou un bébé dans un transat ou dans un siège adap­té. Ce super vélo offre aus­si la pos­si­bil­ité de trans­porter des cours­es, des valis­es, des objets volu­mineux, ou même un vélo pli­ant(1). Il existe aus­si des vélos allongés, qui rem­plis­sent les mêmes fonc­tions qu’un vélo car­go, en per­me­t­tant le trans­port de plusieurs enfants ou de grandes quan­tités de marchan­dis­es sur le porte-bagage arrière.

L’essor actuel des vélos car­gos auprès des familles dans les grandes villes français­es est a pri­ori une bonne nou­velle. Cela veut dire que le vélo a regag­né une telle place en ville que les familles peu­vent lâch­er leur voiture ou l’usage des trans­ports en com­mun et accéder à la mobil­ité cyclable avec leurs mar­mots. Les villes devenant plus accueil­lantes aux cyclistes, les jeunes par­ents sont en con­fi­ance pour choisir cette mobil­ité pour leurs enfants. Les vélos car­gos auraient finale­ment les mêmes avan­tages qu’une petite voiture en ville (trans­port d’enfants, de cours­es, de col­is), mais en plus act­if, doux et écologique. Une nou­velle généra­tion, qui n’a con­nu que le renou­veau du vélo pour ses déplace­ments quo­ti­di­ens, con­tin­ue avec ses enfants, via ce vélo adap­té à sa petite famille.

Mais on peut voir les choses de façon moins opti­miste. Quand des enfants de plus de 45 ans se retrou­vent assis, pas­sifs, dans ces boîtes, ils retrou­vent cette séden­tar­ité et cette inac­tiv­ité physique que crée l’usage de la voiture. Pour­tant, grâce à la draisi­enne, les enfants, dès trois ans main­tenant, savent faire du vélo sans roulettes et sans avoir for­cé­ment besoin d’être véhiculés.

Promouvoir l’usage du vélo dès le plus jeune âge

Sur son petit vélo, l’enfant mobile, act­if, de manière indépen­dante, développe facile­ment de solides com­pé­tences cog­ni­tives liées à la mobil­ité, apprend à être alerte, réac­t­if, con­cen­tré sur son envi­ron­nement, mal­gré tous les dis­tracteurs. Il con­stru­it ain­si son autonomie à venir, la mobil­ité étant un des piliers de l’autonomie de l’adulte !

Bébé trans­porté sur un siège avant. © C. Péchoux

Bien évidem­ment, l’enfant en vélo pra­tique une activ­ité physique sans en avoir l’air, sans rajouter une énième activ­ité extrasco­laire à son emploi du temps par­fois déjà bien chargé. Cela par­ticipe à la lutte con­tre la séden­tar­ité des enfants, due entre autres au développe­ment de l’usage des écrans.

Avant trois ans, il est nor­mal de trans­porter un bébé, un jeune enfant sur un siège vélo, dans une remorque ou la caisse d’un car­go. Mais dès lors qu’il sait pédaler sans roulettes, dis­ons vers 45 ans de manière flu­ide et sécure, pour être en accord avec l’autonomie qu’il a con­quise, sa mobil­ité dans ses tra­jets quo­ti­di­ens ne devrait-elle pas être sur son pro­pre vélo, un 14 ou 16 pouces ?

Gérer les dangers de la circulation

Il est prob­a­ble que l’essor des vélos car­gos soit en par­tie une façon d’éviter aux jeunes enfants, pour­tant capa­bles de pédaler seuls, les dan­gers de la cir­cu­la­tion : dif­féren­tiel de vitesses impor­tant, manque de vis­i­bil­ité de ces petits êtres humains par les con­duc­teurs de véhicules motorisés, notam­ment des SUV surélevés, den­sité des cir­cu­la­tions auto­mo­biles et pié­tonnes. Dif­fi­cile pour les par­ents d’avoir l’esprit sere­in pour cir­culer en famille cha­cun sur son vélo.

Le code de la route autorise les enfants de moins de huit ans à faire du vélo sur les trot­toirs. En pra­tique, ce n’est pas si sim­ple ! Les trot­toirs sont sou­vent étroits ou encom­brés. Les pié­tons, notam­ment les per­son­nes âgées, se sen­tent en insécu­rité lors du croise­ment avec un cycliste sur un trot­toir. De plus, un enfant de moins de huit ans est le plus sou­vent accom­pa­g­né par quelqu’un de plus de huit ans sur ses tra­jets quo­ti­di­ens, et cette per­son­ne n’a pas le droit de rouler à ses côtés sur le trot­toir. Enfin, les trot­toirs ne sont pas sans risque, avec les sor­ties de garage sans vis­i­bil­ité entre autres.

En roulant sur la chaussée à son niveau, l’accompagnant se retrou­ve à cir­culer lente­ment, ce qui est rarement com­pris des auto­mo­bilistes qui n’ont pas la vision glob­ale de la sit­u­a­tion. Et si une file de sta­tion­nement sépare la chaussée du trot­toir, la sécu­rité du jeune cycliste et des pié­tons ne peut pas être facile­ment gérée par l’accompagnant.

Ain­si, une famille choi­sis­sant de faire les tra­jets quo­ti­di­ens des enfants cha­cun sur son vélo se retrou­ve le plus sou­vent dans la cir­cu­la­tion, avec une tra­jec­toire un peu zigza­guante, des véhicules qui roulent beau­coup plus vite à leur côté et des prob­lèmes de vis­i­bil­ité des jeunes enfants par les con­duc­teurs de SUV, de bus et de camions.

Enfants et personnes âgées : même dilemme

Il existe dif­férents mod­èles de vélo per­me­t­tant de ren­dre acces­si­ble la
pra­tique du vélo à tous, quelles que soient les capac­ités physiques que l’on a. © C. Péchoux

Même type de con­stat à l’autre bout de la vie humaine. Pour les per­son­nes âgées, la bicy­clette est un for­mi­da­ble out­il pour bien vieil­lir : activ­ité physique douce, per­me­t­tant l’entretien des capac­ités physiques et cog­ni­tives, offrant une mobil­ité de prox­im­ité, per­me­t­tant de sup­pléer la marche dev­enue sou­vent douloureuse, facil­i­tant le trans­port de quelques cours­es sans les tenir à bout de bras… Pour une ergothérapeute, il paraît évi­dent que la mobil­ité des plus âgés doive se faire en vélo.

Avoir confiance en soi

Pour­tant, actuelle­ment, tant que la cir­cu­la­tion urbaine restera dense, com­plexe et rapi­de, il est dif­fi­cile de lancer des per­son­nes frag­iles dans un tel envi­ron­nement. Tout comme les per­son­nes avec des dif­fi­cultés physiques, sen­sorielles ou cog­ni­tives, les seniors subis­sent, dans leur mobil­ité quo­ti­di­enne à bicy­clette, la vitesse exces­sive des auto­mo­bilistes qui accélèrent entre chaque car­refour et qui tien­nent à dou­bler les cyclistes à tout prix.

Actuelle­ment pour cycler, même dans une ville qui a dévelop­pé des amé­nage­ments cyclables, il faut être quelqu’un de réac­t­if et vif : savoir se fau­fil­er, démar­rer avant le flux des voitures pour ne pas se faire coin­cer, pil­er devant un pié­ton n’ayant pas vu le dou­ble sens cyclable. Bref, il faut pren­dre sa place sur la chaussée, notam­ment dans les rues étroites, donc avoir une grande con­fi­ance en soi (et en l’automobiliste qui est der­rière !) pour assumer ce posi­tion­nement.

Le problème des cyclistes casse-cou

Vul­nérables, les cyclistes le sont par rap­port aux auto­mo­bilistes. Mais cer­tains cyclistes le sont aus­si par rap­port aux autres cyclistes. Cet homme de 82 ans ou cette femme enceinte roulant en-dessous de 10 km/h, cet ado­les­cent por­teur d’une tri­somie 21 qui va mal inter­préter les pri­or­ités à un car­refour, cette femme de 40 ans atteinte d’une sclérose en plaques roulant avec un large tri­cy­cle ne trou­vent pas leur juste place dans la ville cyclable actuelle.

Car l’augmentation du nom­bre de cyclistes n’amène pas que du posi­tif. Ils ne sont pas rares les cyclistes qui ne s’arrêtent jamais pour laiss­er tra­vers­er les pié­tons, mais zigzaguent entre eux, roulent très vite, forts de leur vélo élec­trique par­fois, en met­tant en dan­ger les cyclistes tortues. Juchés sur leurs sell­es de vélo, les cyclistes n’auraient-il pas tout à gag­n­er à miser sur la con­vivi­al­ité, pour créer une ville inclu­sive où cha­cun puisse choisir une mobil­ité active, quelles que soient ses capac­ités ?

C’est pourquoi, la diver­sité des cyclistes et la diver­sité des vélos devraient être davan­tage prise en compte lors de la créa­tion d’infrastructures et de ser­vices, pour faciliter cette inclu­sion et don­ner une place aux cyclistes hors normes dans la cir­cu­la­tion urbaine.

Note :

(1) Ce qui per­met de rem­plir la fonc­tion de « vélo-taxi act­if » : par exem­ple, le vélo-pli­ant dans le car­go pour aller chercher un ami ou un client à la gare, puis de met­tre les valis­es dans le car­go et le pas­sager sur le vélo pli­ant jusqu’à son point d’arrivée.

Le développe­ment des com­pé­tences cog­ni­tives
liées à la mobil­ité

Il est prob­a­ble que les enfants trans­portés en vélo car­go soient davan­tage act­ifs au niveau des fonc­tions cog­ni­tives liées à la mobil­ité que ceux trans­portés en voiture, car ils ont les yeux et les oreilles con­nec­tés au monde urbain qui les entourent.

Idem pour le trans­port de jeunes enfants sur des sièges vélos avant, qui, par la facil­ité de dis­cus­sion pos­si­ble avec l’adulte et l’apprentissage des signes liés à la mobil­ité, vont ten­dre un bras à gauche ou à droite, spon­tané­ment, sur des tra­jets con­nus, pour indi­quer aux autres usagers que le vélo va tourn­er.

Un article à lire aussi dans Vélocité n°150 — mars-avril 2019, une publication de la FUB.