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Aux origines du système vélo

L’origine du concept

L’idée qu’existe un sys­tème vélo n’est guère orig­i­nale. À vrai dire, c’est une idée fort sim­ple, à la portée de tout bon con­nais­seur du vélo. Et, comme tout con­cept de base, plusieurs auteurs l’ont pro­posé simul­tané­ment sans se con­naître. Il revient au min­istère fédéral alle­mand des trans­ports d’avoir su le présen­ter dès 2002 de façon très com­plète dans un doc­u­ment de référence sur le « plan nation­al vélo » lancé cette année-là par l’Allemagne [Bun­desmin­is­teri­um für Verkehr, Bau- und Woh­nungswe­sen, 2002].

À la même époque, d’autres doc­u­ments pré­con­i­saient aus­si une approche sys­témique, comme par exem­ple le tra­vail très fouil­lé de l’association belge ProVé­lo pour le min­istère wal­lon de l’Équipement et des Trans­ports [résumé dans De Wilde, 2002]. En ce qui me con­cerne, j’avais pro­posé l’expression « sys­tème vélo » dès 2001, lors de la journée d’études annuelle de la FUBi­cy (aujourd’hui FUB), mais sans aller aus­si loin dans l’analyse que fer­ont les Alle­mands quelques mois plus tard [Héran, 2001].

Le système automobile à la rescousse

D’où vient cette idée d’appliquer le terme de « sys­tème » au vélo ? Des travaux des spé­cial­istes de l’automobile ! C’est à la lec­ture du livre d’un géo­graphe français renom­mé, Gabriel Dupuy, sur La dépen­dance auto­mo­bile, paru en 1999, qui évo­quait le « sys­tème auto­mo­bile », que m’est venu l’idée qu’il en était évidem­ment de même pour le vélo. Dupuy importe, en fait, dans le monde fran­coph­o­ne, les travaux de l’urbaniste anglais de répu­ta­tion inter­na­tionale, Peter Hall.

En 1988, Peter Hall expli­quait que l’utilisation d’une voiture sup­pose non seule­ment un réseau routi­er de qual­ité et sans fron­tières, mais aus­si une pro­duc­tion et une con­som­ma­tion de masse de véhicules bon marché, un code de la route suff­isam­ment respec­té, une infor­ma­tion routière, des règles de cir­cu­la­tion inter­na­tionales, de nom­breux ser­vices tels que des sta­tions ser­vices, des motels, des fast-foods, des cen­tres com­mer­ci­aux dotés de vastes park­ings, des garages… tout cela per­me­t­tant de vivre, de tra­vailler et de con­som­mer sur de vastes ter­ri­toires [Hall, 1988 ; Dupuy, 1995].

Il est très vraisem­blable que les auteurs du plan vélo alle­mand con­nais­saient aus­si les travaux de Hall repris dans les années 1990 par divers auteurs anglo-saxons…[par exem­ple Good­win, 1995].

Tout mode de déplacement est un système

En fait, chaque util­i­sa­tion régulière d’un mode de déplace­ment con­stitue un « sys­tème modal », dont la struc­ture élé­men­taire com­prend tou­jours qua­tre com­posantes : 1/ le mode ren­du effi­cace, con­fort­able et sûr(1), 2/ l’utilisateur for­mé à l’usage de ce mode, 3/ le déplace­ment qui sup­pose un réseau con­tinu, mail­lé et sécurisé et 4/ l’environnement qui doit être régulé et accueil­lant.

Le tramway est bien sûr un sys­tème : per­son­ne n’imagine un tel véhicule sans sa voie fer­rée, sa caté­naire, son cen­tre de main­te­nance… Idem pour le métro. Et même pour les bus qui ont besoin de couloirs réservés pour mieux cir­culer. Le pié­ton aus­si doit béné­fici­er d’un réseau de trot­toirs et de rues pié­tonnes au revête­ment cor­rect et éclairé la nuit, de chaus­sures et de vête­ments adap­tés, de ser­vices divers (cor­don­niers, restau­ra­tion, bancs, ombrage…).

En milieu urbain, le sys­tème vélo peut con­stituer avec la marche, les trans­ports publics et le cov­oiturage un « sys­tème de trans­port écologique »(2) capa­ble de con­cur­rencer le sys­tème auto­mo­bile, l’intermodalité vélo-trans­ports publics étant sou­vent plus rapi­de que la voiture.

Avant le système vélo

Heureuse­ment, cer­taines villes n’ont pas atten­du que les chercheurs inven­tent le con­cept de sys­tème vélo pour avoir une approche glob­ale de la bicy­clette. Ain­si, en France, en 1994, la Com­mu­nauté urbaine de Stras­bourg se lançait dans une poli­tique glob­ale de développe­ment du cyclisme urbain, en élab­o­rant un plan vélo très com­plet [Hauser, 1994]. En Alle­magne, dès 1979, le gou­verne­ment fédéral décidait de soutenir finan­cière­ment une dizaine de villes pilotes afin qu’elles devi­en­nent des « villes accueil­lantes aux vélos » (fahrrad­fre­undliche Städte). Il s’inspirait directe­ment d’une ini­tia­tive du gou­verne­ment hol­landais qui, en 1974, avait décidé de financer à 100 % deux villes pilotes, Tilburg et La Haye.

La con­cep­tu­al­i­sa­tion est donc sou­vent (voire tou­jours) à la traine des pra­tiques inno­vantes, mais per­met ensuite en un mot ou une expres­sion de résumer toute une réflex­ion et de la pro­mou­voir plus aisé­ment.

La postérité du concept

Aujourd’hui, tout le monde s’approprie peu à peu le con­cept. Les chercheurs l’utilisent désor­mais couram­ment [Hor­ton et Parkin, 2012 ; Ensink and Karsten, 2014 ; Luciano, 2017]. Les organ­ismes publics aus­si, que ce soit, pour ne pren­dre que le cas de la France, le CEREMA, le CVTC (Club des villes et ter­ri­toires cyclables) ou l’IFSTTAR (Insti­tut français des sci­ences et tech­nolo­gies des trans­ports, de l’aménagement et des réseaux). Et bien sûr les asso­ci­a­tions de cyclistes urbains.

Notes
(1) Il s’agit en général d’un véhicule, sauf pour la marche pour laque­lle il se réduit à une paire de chaus­sures.
(2) Tra­duc­tion de l’allemand Verkehrsmit­tel des Umweltver­bun­des, un con­cept intro­duit dans les années 1980 [Mon­heim et Mon­heim-Dan­dor­fer, 1990].

Pour en savoir plus

Héran F. (2018), Le sys­tème vélo, nou­velle entrée du dic­tio­n­naire du Forum vies mobiles, 9 p. En ligne.

Références

Un article à lire aussi dans Vélocité147 — septembre-octobre 2018, une publication de la FUB.