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Quel rôle pour les associations de cyclistes urbains dans la renaissance du vélo ?

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La renais­sance du vélo est en cours. Elle bat son plein dans le cen­tre des grandes villes de tous les pays dévelop­pés et de nom­breux pays émer­gents. C’était l’objet de l’article “Cycling Renais­sance, le vélo repart dans les grandes villes”.
Mais toutes les villes seront-elles con­cernées ? Quid de la périphérie des grandes villes et des villes moyennes ? Ces lieux où divers com­men­ta­teurs nous annon­cent que le tout auto­mo­bile est un hori­zon indé­pass­able et que l’essor du vélo y restera une utopie ? Com­ment une asso­ci­a­tion de cyclistes urbains peut-elle réa­gir dans ses dif­férents con­textes ?

La transition écomobile

L’ensemble des déplace­ments urbains forme un sys­tème où tout se tient. Or, depuis tou­jours, on ne se déplace en moyenne que 3 à 4 fois par jour, aus­si le choix d’un mode de déplace­ment se fait for­cé­ment au détri­ment d’un autre mode. Du seul fait de son énergie ciné­tique (c’est-à-dire de sa masse et de sa vitesse), la voiture tend ain­si à chas­s­er les modes les plus frag­iles et surtout le vélo qui est de loin le mode le plus exposé au dan­ger et aux nui­sances du traf­ic auto­mo­bile.

Con­traire­ment à une idée reçue, les amé­nage­ments cyclables ne suff­isent pas à pro­téger les cyclistes qui doivent tou­jours, à un moment ou à un autre, se réin­sér­er dans le traf­ic, au moins pour franchir les car­refours où se pro­duisent la plu­part des acci­dents. C’est pourquoi, quand la voiture est en plein essor, le vélo décline et quand l’usage de la voiture se réduit, le vélo renaît de ses cen­dres. La pre­mière péri­ode était partout man­i­feste dans les années 19501974 et la sec­onde péri­ode est aujourd’hui fla­grante dans toutes les grandes villes occi­den­tales

Com­ment la ten­dance parvient-elle à s’inverser ? Nous l’avons expliqué dans “Cycling Renais­sance” Mais il reste à com­pren­dre les impor­tants décalages qui com­pliquent sérieuse-ment la tran­si­tion éco­mo­bile.

Décalages dans la croissance automobile
et la régression du vélo

La crois­sance du traf­ic auto­mo­bile n’a pas com­mencé en même temps dans tous les pays. Les États-Unis ont ouvert la voie dès les années 19201930, puis il a fal­lu atten­dre les années d’après la Sec­onde Guerre mon­di­ale pour que la défer­lante arrive en Europe. Mais les pays européens ne pos­sé­dant pas d’industrie auto­mo­bile – comme les Pays-Bas ou le Dane­mark – ont tardé à se motoris­er.

De même, les auto­mo­biles ont d’abord été achetées par les plus for­tunés, puis par les class­es moyennes et enfin par les milieux pop­u­laires, avec des décalages de plusieurs décen­nies. Dans les grandes villes, ce sont donc les quartiers bour­geois qui ont d’abord été adap­tés à la voiture, bien avant les quartiers ouvri­ers, et le cen­tre bien avant la périphérie. Même remar­que pour les grandes villes par rap­port aux villes moyennes. La pra­tique du vélo s’est donc longtemps main­tenue, jusque dans les années 1980, en périphérie des grandes villes, dans les villes ouvrières et dans les villes moyennes, une sit­u­a­tion totale­ment inverse à celle d’aujourd’hui.

Décalages dans la réduction du trafic automobile
et l’essor du vélo

La con­tes­ta­tion du tout auto­mo­bile a com­mencé logique­ment dans les villes des pays les plus dens­es et les plus anci­en­nement urban­isés, parce que la voiture – et ses nui­sances – y est à l’évidence inadap­tée. Soit d’abord aux Pays-Bas et en Ital­ie du Nord, puis en Alle­magne, et enfin au Roy­aume-Uni et en France. Pour la même rai­son, ce sont d’abord dans les cen­tres dens­es et dans les grandes villes que la mod­éra­tion de la cir­cu­la­tion auto­mo­bile a débuté, avant d’atteindre les quartiers plus périphériques et les villes moyennes. Aujourd’hui, les villes bour­geois­es depuis longtemps motorisées sont capa­bles de se détach­er plus facile­ment de la voiture que les villes plus pop­u­laires pour qui la voiture est une con­quête récente. Enfin, les jeunes généra­tions n’ont pas le même attache­ment à la voiture que les seniors et préfèrent com­mencer par inve­stir dans un smart­phone plutôt que dans le per­mis, puis s’essayer à des modes act­ifs plutôt que pas­sifs.

C’est pourquoi, l’usage du vélo renaît d’abord aux Pays-Bas, dans les grandes villes, dans les cen­tres, chez les hauts revenus et chez les jeunes act­ifs.

À ces grands décalages s’ajoute une mul­ti­tude d’éléments de con­texte qui diver­si­fient les sit­u­a­tions. La crise de l’énergie de 1974 a eu plus de reten­tisse­ment dans les pays soumis au boy­cott de l’OPEP (comme les Pays-Bas). Les villes qui investis­sent forte­ment dans les trans­ports publics ont ten­dance à frein­er le retour du vélo. Les villes touris­tiques avec un grand plateau pié­ton­nier sont au con­traire favor­ables au vélo. Les villes soumis­es à des pics de pol­lu­tion sont plus récep­tives à des poli­tiques de mod­éra­tion de la cir­cu­la­tion auto­mo­bile. Les villes plates sont bien sûr plus prop­ices. Etc.

Renouveau du vélo et attitude des parties prenantes
à l’égard des cyclistes

L’hégémonie de la voiture finis­sant tou­jours par être con­testée, même dans les ter­ri­toires les plus adap­tés à l’automobile, le vélo finit tou­jours par en prof­iter, surtout avec l’essor des VAE, la mon­tée des préoc­cu­pa­tions pour la san­té et le renou­velle­ment des généra­tions. Comme dans toute tran­si­tion, on peut dis­tinguer plusieurs phas­es dans la renais­sance du vélo : émer­gence, décol­lage, crois­sance forte, ralen­tisse­ment et sta­bil­i­sa­tion. Et à chaque fois les par­ties prenantes (càd tous les groupes d’acteurs impliqués) ont des atti­tudes qui évolu­ent forte­ment.

En phase d’émergence, les cyclistes lut­tent pour être admis sur la chaussée. Les autres usagers les ignorent et sou­vent les méprisent. Les autorités con­sid­èrent même que si les cyclistes ont quelques prob­lèmes, c’est tout sim­ple­ment de leur faute.

En phase de décol­lage, les cyclistes s’organisent et éla­borent des reven­di­ca­tions. Les pié­tons sur­pris par ces nou­veaux usagers fur­tifs et silen­cieux expri­ment une forte hos­til­ité. Cer­tains auto­mo­bilistes invec­tivent les cyclistes. Les sociétés de trans­port pub­lic refusent toute con­ces­sion, comme la cir­cu­la­tion des cyclistes dans les couloirs de bus ou le trans­port des vélos dans les rames. Les autorités assis­tent aux con­flits et pro­posent des mesures sym­bol­iques : des arceaux sur le trot­toir, l’ouverture de quelques couloirs de bus, des amé­nage­ments cyclables quand cela ne dérange per­son­ne, une petite sub­ven­tion à l’association.

En phase de crois­sance forte, les organ­i­sa­tions de cyclistes ne se con­tentent plus de revendi­quer et pro­posent aus­si des ser­vices : auto-répa­ra­tion, loca­tion de vélos, broc-à-vélos… Les con­flits avec les pié­tons ten­dent à s’apaiser. Cer­tains auto­mo­bilistes s’organisent pour con­tr­er les mesures favor­ables aux cyclistes, d’autres s’assagissent. Les sociétés de trans­ports publics com­pren­nent l’intérêt d’encourager l’intermodalité. Et les autorités s’engagent dans une poli-tique de ville cyclable en s’efforçant de recon­stituer un sys­tème vélo. Cer­tains amé­nage­ments remet­tent en cause l’hégémonie de la voiture : des arceaux sur des places de sta­tion­nement voiture ou des amé­nage­ments cyclables à la place de files de cir­cu­la­tion auto. Des efforts d’investissement sont con­sen­tis pour le traite­ment des coupures, la créa­tion de vélo­sta­tions, une sub­ven­tion cor­recte à l’association rémunérant son exper­tise d’usage.

En phase de ralen­tisse­ment et de sta­bil­i­sa­tion à un haut niveau de pra­tique, la sit­u­a­tion se nor­malise : cyclistes, pié­tons et auto­mo­bilistes cohab­itent plus volon­tiers. Les sociétés de trans­port pub­lic sys­té­ma­tisent les B+R (bike and ride) au détri­ment des P+R (park and ride). Les autorités pren­nent la pleine mesure de tous les avan­tages du vélo pour les indi­vidus comme pour la col­lec­tiv­ité et mènent une poli­tique inten­sive en sa faveur.

Dans toutes les phas­es, les asso­ci­a­tions de cyclistes urbains ont un rôle clé d’accélérateur de la renais­sance du vélo.

Auteur :  Frédéric Héran, économiste et urbaniste, maître de conférences à l’Université de Lille 1

Photos : Creative commons

Une publication en collaboration avec Vélocité, la revue du cycliste au quotidien, éditée par la FUB. Extrait de Vélocité n°141 – été 2017.