La création d’une piste cyclable rue de Rivoli en est la première pierre, au cœur de l’agitation. Quels sont les éléments qui viennent tant faire réagir ? Sur quoi sont-ils fondés ? Qu’en penser?
C’était le feuilleton de l’été à Paris. Le préfet de police de Paris et la maire de la capitale s’opposent sur la création d’une piste cyclable en double sens rue de Rivoli pour relier la Bastille par la rue Saint-Antoine à la Concorde.
C’est ainsi que commence Mobilicités. Le Figaro parle d’un véritable « bras de fer entre Anne Hidalgo et le préfet ».
La controverse dépassera la Manche. « Paris: la ville de l’amour, de la lumière et, apparemment, de l’aigreur basée sur les infrastructures », (trad. de l’auteur) lit-on sur le site britannique Citymetric. Ce projet de création de piste cyclable est devenu le point névralgique du plan vélo porté par Anne Hidalgo pendant sa campagne, en 2014, puis voté en 2015 à l’unanimité par le conseil municipal. Ce plan vélo devrait faire de Paris la capitale mondiale du vélo d’ici 2020, 150 millions d’euros à l’appui, avec 1400 km de pistes cyclables, face aux 700 km actuels.
« La pollution de l’air tue, à Paris, 60 fois plus que les accidents de la route»
Quel est donc le problème ? La réponse est là : pour créer la piste cyclable rue de Rivoli, il faut supprimer une file de voiture. La journaliste du Monde interroge le préfet de police de Paris, Michel Delpuech :
Je suis inquiet des difficultés que va poser l’aménagement tel qu’il est prévu pour les véhicules de secours et d’intervention de la police dans un contexte où les congestions vont croissant.
En réaction, un chercheur au CNRS, Julien Demade, donne matière au débat dans une tribune publiée par FranceInfoTV :
« Faut-il vraiment prêter quelque attention que ce soit à ce que peut bien dire la préfecture de police en matière de sécurité des déplacements, elle qui pendant des années s’est, par exemple, farouchement opposée, toujours au nom de cette même sécurité, aux double-sens cyclables, alors que ceux-ci, lorsque la loi les a généralisés dans les zones limitées à 30 km/h (et que la préfecture a donc dû céder), ont entraîné à Paris rien moins qu’une diminution de 45% de la probabilité pour les cyclistes d’avoir un accident ?»
D’ajouter :
Et quand on sait qu’en plus, la pollution de l’air tue, à Paris, 60 fois plus que les accidents de la route, la cause, en matière de sécurité, n’est-elle pas entendue, et l’urgence n’est-elle pas de généraliser à tout Paris ce qui est fait rue de Rivoli ?
« Les couloirs de bus ne sont pas vraiment adaptés aux cyclistes »
Plus loin dans l’interview du Monde, la journaliste expose : « Selon la Mairie, il ne peut y avoir de piste en double sens pour les vélos sans supprimer une file de voitures ». Réponse du préfet ? « Ce n’est pas l’avis de mes services. L’actuelle voie réservée aux bus sur une bonne partie de la rue de Rivoli a été calibrée pour accueillir les vélos aussi. Dès lors qu’on crée une voie cyclable par ailleurs, il n’y a plus besoin d’un couloir aussi large. Il existe donc des marges de manœuvre. »
Ces mots ne collent pas aux témoignages des habitués du vélo. Pour comprendre comment se passe le partage des rues de Paris, Reporterre, quelques semaines plus tard, en marge des Assises de la mobilité proposait un reportage à la rencontre des cyclistes. On lit ici combien est difficile la cohabitation entre vélos, bus, voitures et deux-roues motorisées.
Il y a par exemple les mots d’Elisabeth, livreuse chez Deliveroo :
Les couloirs de bus ne sont pas vraiment adaptés aux cyclistes.
Il y a des arrêts de bus partout et on passe notre temps à contourner les bus, les dépasser, pour ensuite se refaire dépasser et ainsi de suite.
Un événement Facebook : “Rouler en voiture sur les pistes cyclables d’Anne Hidalgo”
La polémique n’est bien entendu par limitée à la rue de Rivoli. C’est le « plan vélo » dans son ensemble qui est visé. « Entre embouteillages, détours et nervosité au volant, la politique pro-vélo de la mairie de Paris serait la source de tous les maux », résume Slate dans un article intitulé « Le vélo à Paris, c’est vraiment de gauche? ».
Les opposants sont fervents. « En septembre, un événement Facebook intitulé “Rouler en voiture sur les pistes cyclables d’Anne Hidalgo” a même vu le jour », rapporte Slate. En effet, BFMTV consacrait mi-septembre un article à un mouvement haineux pro-voiture :
La crise est encore plus aiguë depuis la rentrée et l’ouverture d’une piste cyclable accusée de créer des bouchons monstres sur le quai Georges Pompidou. Sur Facebook, un automobiliste a lancé mercredi soir un événement appelant ceux qui veulent protester à venir rouler sur les espaces réservés aux cyclistes le 1er octobre à l’occasion de la journée sans voiture dans la capitale ».
20 Minutes a rencontré Isaac, l’auteur de cette page « qui réunit 7.000 intéressés et 3.000 participants et relève davantage d’une « blague » que d’une réelle action », quelques jours avant la Journée sans voiture :
« A travers cet événement au titre provocateur et à une date choisie symboliquement et ironiquement, je voulais voir si j’étais seul ou si les gens étaient prêts à suivre. Et ça a pris car nous avons le sentiment, d’être la cible, les ennemis à abattre. » Aucune action prévue dimanche donc. « Ou si des gens le font, ce ne sera pas sous la responsabilité de la page », précise Isaac.
Ce jeune amateur de la vie en voiture, n’était pas le seul opposant à une politique cyclable : « En fin de matinée, l’Udelcim (association qui « défend le droit de rouler librement à Paris ») organise avec le soutien de 40 millions d’automobilistes et de la Ligue de défense des conducteurs, une opération escargot sur le périphérique parisien », selon 20 Minutes.
« L’animosité est renforcée par la personnification du débat sur les transports: la politique de la ville de Paris est souvent associée à la seule figure de la maire socialiste, Anne Hidalgo », estime Slate.
« Les travaux ont commencé rue de Rivoli », est-ce si fou ?
Malgré les oppositions, le Plan vélo maintient sa ligne de conduite :
« Mauvaise nouvelle pour les automobilistes qui l’empruntent chaque jour, les travaux ont commencé rue de Rivoli. L’idée, en faire une pièce clé du futur « Réseau Express Vélo » de Paris, soit 700 km de pistes cyclables d’ici à 2020 » ouvrait fin août France Culture.
“Réorganiser la voirie à Paris au détriment de la voiture et au profit du vélo n’a rien d’un délire idéologique”, titre le site de France Info TV en haut de la tribune de Julien Demade. Le discours de ce dernier est clair et donne de quoi argumenter face aux pro-voiture :
Une telle réduction de 50% de la capacité de circulation automobile d’un axe parisien majeur n’a rien de fantaisiste. (…) La voiture n’assurait plus que 13% des déplacements en 2010, et c’est autour de 10% seulement qu’elle doit aujourd’hui tourner
« C’est l’immobilisme qui, en la matière, serait complètement déconnecté de la réalité »
« Si la circulation automobile a fortement baissé, il n’en reste pas moins que chaque jour 5 millions de kilomètres sont parcourus par des véhicules polluants dans Paris, avec comme conséquence que 90% des Parisiens sont exposés à une pollution supérieure aux normes sanitaires. (…) C’est l’immobilisme qui, en la matière, serait complètement déconnecté de la réalité. »
« Dans 40% des cas, l’automobile est utilisée pour moins de 5km »
« Les banlieusards pouvaient rester chez eux, pour que les Parisiens (les vrais ?) jouissent de leurs pavés tant aimés en toute tranquillité ». Voici la réaction dans une chronique ‘anti-journée sans voiture’ – qui tourne un peu à l’excès, voire au ridicule — de la journaliste Maïlys Honoré sur le site Weekly. Elle blâme la politique pro-vélo d’Hidalgo qui taperait sur les banlieusards.
Le chercheur du CNRS donne de quoi réagir à la journaliste de Weekly :
Ce qui frappe c’est avant tout le caractère absurdement faible des distances pour lesquelles est utilisée l’automobile : dans 40% des cas, il s’agit de moins de 5 km, soit une distance que l’on parcourt à vélo en moins de 20 minutes… D’autre part, la moitié des trajets automobiles réalisés dans Paris le sont par des Parisiens.
« En Marche, Hidalgo, et les écologistes français vont espérer que cela n’annoncera pas un rejet conservateur venu de ces infrastructures (cyclables) qui font bouger les choses » (trad. de l’auteur), conclut le site britannique. Pourtant, installer une piste cyclable à double-sens en plein cœur de Paris n’a rien d’une lubie. Un article du site Traveller 24 titre « Pratique du vélo en ville en hausse : Voici comment les pistes cyclables changent le monde » fait d’ailleurs l’inventaire de ces initiatives dans divers pays du monde, pays d’Europe inclus.
“Seulement 1.5km de piste cyclable aménagé”
A Paris, l’été vélo a été vélo chaud. La rue de Rivoli avec des picto vélo peints au sol est vue comme le début d’une révolution pro-vélo. Pourtant, la réalité est différente à en croire Le Figaro :
L’édile annonce que 20% de son plan sera réalisé avant la fin de l’année 2017. Un optimisme qui n’est pas partagé par l’Observatoire du Plan Vélo, qui évoque un avancement de seulement 5%.
Même inquiétude à l’association Paris en Selle qui argumente que “seulement 1,5 kilomètre de piste cyclable avait été aménagé au 30 juin lors de cette “année du vélo””. Elle était relayée par France Inter qui titre “la bataille du vélo prend de l’ampleur”.
Quid de la Journée sans voiture du premier dimanche d’octobre ?
Une petite pluie fine était là. Et les automobilistes loin du danger de perdre leur cher pavé. « Regarde à sa fenêtre passer les voitures de la journée sans voitures », tweete avec ironie un Parisien, relayé par FranceTVInfo dans un article baptisé “Je suis bloqué en plein Paris par un bouchon” : la Journée sans voiture raillée sur Twitter.
Ironie, forcément. Car en réalité, le vélo occupe encore une place dérisoire dans la capitale.
Les voitures sont là, journée avec ou sans.
On le comprend alors, que pourrait espérer de plus un cycliste qu’une piste rien qu’à lui où rouler sans risquer de trouver une camionnette garée? Oui, un lieu où rouler en paix même pendant la journée sans voiture!
Car qui roule encore en voiture? “Les plus fortunés”, annonce le chercheur. “Ainsi les habitants du 16e arrondissement se déplacent-ils trois fois plus en voiture que ceux du 18e”. Retirer une file de voiture, c’est bien faire un choix. Et ça se défend non?
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