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Morts à vélo… À qui la faute ?

Vélo, ou même cycliste, rime sou­vent avec dan­ger dans l’actualité. Ce point de vue entraîne le lecteur dans une course émo­tion­nelle. Il soulève aus­si la ques­tion, pas tou­jours très assumée ou explicite, de la respon­s­abil­ité des usagers de la route.

Alors, quand le nombre de morts à vélo grimpe, à qui la faute ?

C’est d’abord la lec­ture des chiffres qui alarme. « Le 2e trimestre 2017 est le plus meur­tri­er (pour les cyclistes, ndlr) enreg­istré depuis 2010. La faute au beau temps, mais aus­si au manque de pru­dence des util­isa­teurs de vélo », lance-t-on sur France Info en plein été. Même si le jour­nal­iste évoque rapi­de­ment une « respon­s­abil­ité partagée », voilà le cycliste respon­s­able de sa mort !

Au fil du Web et des médias, cette approche qui offre au cycliste l’entière respon­s­abil­ité de sa vie sur la route n’est pas isolée. A Lille, deux jour­nal­istes de La Voix du Nord annon­cent une pra­tique du vélo « en plein boom » dans la ville. Ils font le choix d’offrir un car­net d’adresses spé­cial vélo pour l’occasion. Une démarche généreuse… sauf que la lec­ture du car­net laisse au lecteur une boule d’angoisse. A chaque adresse, se lit le dan­ger cycliste.

Trop de cyclistes nég­li­gent les règles de base,
ne se mon­trent pas assez atten­tifs

C’est le com­men­taire du pre­mier inter­locu­teur d’un café-ate­lier-bou­tique vélo. « Le seul bémol tient à « l’éducation générale des cyclistes qui trop sou­vent reste à faire. Le port du casque nég­ligé, le respect d’élémentaires règles de cir­cu­la­tions… », déclare le vélociste suiv­ant. « Tout en prodiguant leurs con­seils mécaniques avisés, les deux amis restent vig­i­lants quant à la sécu­rité des cyclistes (…) », écrit-on à pro­pos du créa­teur d’un ate­lier d’auto-réparation.

Doit-on lire la peur des jour­nal­istes ou une réelle préoc­cu­pa­tion des acteurs de la « vélosphère » sur la sécu­rité des cyclistes ?

L’idée du cycliste dan­gereux n’est pas fran­co-française! A Bogo­ta, en Colom­bie, le jour­nal El Tiem­po con­sacre un arti­cle à une asso­ci­a­tion qui fait la pro­mo­tion de l’usage du vélo au quo­ti­di­en. Il con­clu­ra par : « Avec ce type d’initiatives, il est ques­tion de propager les bonnes pra­tiques de con­duite sur la route, le respect de la vie et enfin d’éviter les acci­dents, les décès et les blessures. »

« On induit le doute sur les agissements possibles de la victime »

La ten­dance médi­a­tique du cycliste respon­s­able de tous les dan­gers est main­tenant con­fir­mée par une chercheuse, Joëlle Géli­nas. Elle a étudié le proces­sus nar­ratif de dif­férents jour­naux lors du décès de cyclistes en 2016, rap­porte le jour­nal Métro de Mon­tréal.

Elle arrive à la con­clu­sion que le choix des mots et les tour­nures de phras­es évi­tent d’aborder la respon­s­abil­ité de l’automobiliste et accentuent celle des cyclistes.

On apprend dans son étude que le con­duc­teur d’un véhicule motorisé sera désigné par son véhicule, comme « le poids lourd », la respon­s­abil­ité allant à la machine, alors que le cycliste restera human­isé. Gram­mat­i­cale­ment, « «La cycliste hap­pée mortelle­ment…» –, c’est la cycliste qui est le sujet de la phrase, impli­quant ain­si indi­recte­ment qu’elle pour­rait avoir joué un rôle dans son mal­heur ». Glob­ale­ment, « on induit le doute sur les agisse­ments pos­si­bles de la vic­time », partage la chercheuse.

« Ceux qui vous foncent dessus à contresens »

Par­fois aus­si, le mes­sage est plus explicite! Comme cette jour­nal­iste de {Libéra­tion}, Johan­na Luyssen, qui titre « A bas les cyclistes à Paris ». Sur ce jour­nal qui roule plutôt à gauche, elle annonce tout droit son par­ti pris et hurle dans un bil­let son agace­ment des cyclistes parisiens qui « oublient de s’arrêter au pas­sage pié­ton. Ceux qui gril­lent les feux rouges OKLM, tout ébaubis qu’on s’en agace — après tout, ils sont là pour nous sauver de la crise cli­ma­tique. Ceux qui vous fon­cent dessus à con­tre­sens dans la rue parce qu’ils en ont le droit — le droit d’être indéli­cat ».

Ces mots ont valu à Olivi­er Raze­mon un arti­cle sur son blog du Monde qui épluche point par point l’argumentaire anti-vélo de sa con­soeure pour le démon­ter et l’apaiser – ou vice ver­sa. Pour ne citer qu’un extrait :

La jour­nal­iste recon­naît que ces amé­nage­ments sont légaux, mais s’insurge con­tre les cyclistes qui « vous fon­cent dessus à con­tre­sens ». Trois pré­ci­sions s’imposent ici : si on aperçoit le vélo « à con­tre­sens », c’est que l’on est soi-même sur la chaussée, donc prob­a­ble­ment sur un deux-roues motorisé ou en voiture, et non à pied. Par ailleurs, effec­tive­ment, quand on tra­verse une rue en sens unique, il faut désor­mais regarder à droite et à gauche. (…)

Le cycliste est-il finale­ment le seul respon­s­able de ses mal­heurs sur la route ?

« Ils ont collé clandestinement sur la chaussée des débouchoirs à ventouse »

Au « dan­ger » de la route, il appa­raît ras­sur­ant – déjà intel­lectuelle­ment – de lire aus­si sur le Web, que tout n’est pas de la faute des cyclistes.
Le lecteur y trou­ve des idées d’aménagements qui racon­tent le besoin de s’éloigner des voitures pour rouler en sécu­rité. Comme au Kansas où des habi­tants ont trou­vé une solu­tion plutôt rigolote en matières d’infrastructures cyclables.

Ils ont col­lé clan­des­tine­ment sur la chaussée des débou­choirs à ven­touse préal­able­ment ornés de ban­des réfléchissantes.
Ces délinéa­teurs de for­tune ont ain­si per­mis de mieux balis­er une piste cyclable jugée trop peu sécu­ri­taire par ses util­isa­teurs.
Et la Ville a vite com­pris le mes­sage en les rem­plaçant par des délinéa­teurs offi­ciels.

C’est ce que rap­porte le site cana­di­en Centdegres.ca.

En Tunisie, « cer­tains ama­teurs de vélo se plaig­nent du manque de sécu­rité sur la route, à cause de la con­duite des auto­mo­bilistes et de l’état des chaussées. Il n’y a presque aucune piste cyclable », rap­porte la jour­nal­iste de France Info au fil d’un reportage sur le lance­ment d’une véloru­tion tunisi­enne.

En Bel­gique, la solu­tion pour la sécu­rité des cyclistes est vue dans les infra­struc­tures, notam­ment les autoroutes vélo. « Ces voies cyclables express doivent respecter cinq principes généraux, à savoir la cohérence, le car­ac­tère direct, l’attrait, la sécu­rité et le con­fort », pub­lie le site de la radio et télévi­sion belge fran­coph­o­ne, RTBF.

L’un d’eux s’est fait tabass­er par un auto­mo­biliste dans les rues de Rouen

Cyclistes incon­scients ou amé­nage­ments inap­pro­priés ? Le débat se situe-t-il vrai­ment là ? Nous avons vu qu’il n’était pas abor­dé par tous de la même manière.
Il y a les mil­i­tants pro-vélo aux­quels Slate.fr con­sacre un arti­cle qui a fait le tour des réseaux soci­aux sur ceux qui n’en peu­vent plus des auto­mo­bilistes agres­sifs. « Lassée des inci­vil­ités, la «vélosphère» se reb­iffe », titre le jour­nal­iste. « Désor­mais armés d’une caméra embar­quée sur le casque ou le guidon, les cyclistes doc­u­mentent chaque jour les inci­vil­ités qui émail­lent leurs tra­jets », com­mence-t-il. Il donne ensuite la parole à des cyclistes qui s’expriment par­fois sous pseu­do. L’un d’eux s’est fait « tabass­er par un auto­mo­biliste dans les rues de Rouen ». Un autre agit en col­lant auto­col­lants sur les voitures garées en pleine piste cyclable, dites “GCUM” pour « garées comme une merde ».
Un mil­i­tant partage :

Ce n’est pas bien méchant, c’est une pich­enette, un moyen facile d’exprimer son ras-le-bol. On n’est pas jus­tici­er, on est révolté.

« Beaucoup de cyclistes n’ont pas conscience du danger »

Quid de la pos­ture des forces de l’ordre? A Lyon, « la police durcit le ton envers les cyclistes », titre Le Pro­grès. Le jour­nal­iste du titre région­al a choisi d’enquêter en accom­pa­g­nant les équipes de la Police Nationale déplacées pour de la « préven­tion » et venues dis­tribuer un fas­ci­cule où « se trou­vent des chiffres visant à respon­s­abilis­er les cyclistes qui ne savent pas néces­saire­ment ce qu’ils encourent pour tel ou tel com­porte­ment sur la route ».
Avant de citer un agent :

Beau­coup de cyclistes n’ont pas con­science du dan­ger. Ils pensent que, du fait de l’utilisation d’un moyen de déplace­ment pro­pre et du fait qu’ils sont plus vul­nérables que les autres usagers de la chaussée, ils n’ont pas de comptes à ren­dre.

Ce jour-là, le lecteur ne saura pas ce qu’en dis­ent le cyclistes. Mais hésit­era peut-être à enfourcher sa bicy­clette pour aller au boulot.

A Londres, la Police a lancé une nouvelle initiative pour s’attaquer aux automobilistes qui roulent trop proches des cyclistes”

A Lon­dres, la Police a adop­té une toute autre stratégie pour pren­dre soin de ses cyclistes. Tout sim­ple­ment inver­sée! Ici, elle « a lancé une nou­velle ini­tia­tive pour s’attaquer aux auto­mo­bilistes qui roulent trop proches des cyclistes, s’habillant en civ­il. » L’officier explique que « le but de l’initiative n’est pas juste de coller des amendes mais d’éduquer les con­duc­teurs à com­ment se com­porter sans dan­ger avec les vélos sur la route. » Non, vos yeux ne fatiguent pas, vous avez bien lu le même genre de phrase… il suf­fit de rem­plac­er con­duc­teurs par cyclistes et vélos par voitures.

Quant aux « 65 cyclistes morts à vélo » ce Print­emps annon­cés par France Info ? Les chiffres ne con­cer­nent-ils que les « util­isa­teurs de vélo » ?

Les points de vue diver­gent, oui. Mais il y a bien dif­férents points de vue. Surtout si on a la mémoire longue… et que l’on revient sur cet arti­cle paru en 2014 sur Ter­raE­co, titré “La carte qui prou­ve que le vélo tue peu en ville”… A con­sul­ter donc, pour un point de vue géo­graphique qui pour­rait bien en ali­menter d’autres.